A R T I S T E   P E I N T R E   H É L I O A                        ~   P E I N T U R E          T E X T E S       E T    P O É S I E   ~

Max Planck

Accomplissement du devoir personnel

 

             Chaque siècle est riche de grands scientifiques qui se distinguent autant par leurs recherches et leurs découvertes majeures que par leur ouverture d'esprit et des prises de positions nouvelles et courageuses. Il s'agit ici de saluer le travail de l'un d'entre eux, Max Planck. 

           Que ce soit dans les livres de vulgarisation scientifique, lors de conférences ou d'émissions radio, il est beaucoup question aujourd'hui de physique quantique mais assez peu, somme toute, des hommes qui ont contribué à son émergence. Max Planck (1858-1947) est un physicien allemand reconnu comme l'un des fondateurs de la mécanique quantique. Il est d'ailleurs parfois présenté par certains comme le père de la physique quantique. Il fut lauréat du prix Nobel de physique de 1918 pour ses travaux en théorie des quanta, et il reçut la toute première médaille Lorentz en 1927. En 1929, lui sont décernées la médaille Copley et la médaille Max-Planck, une distinction scientifique créée pour récompenser les travaux exceptionnels dans le domaine de la physique théorique. Albert Einstein reçut lui aussi cette médaille en or frappée à l'effigie de Max Planck. Enfin, parmi bien d'autres distinctions, Max Planck obtint le prix Goethe en 1945, une récompense culturelle de la ville de Francfort. Il a donné son nom à une constante physique, la constante de Planck, utilisée pour déterminer la taille des quanta. De ses travaux, fut conceptualisée l'ère de Planck, période de l'histoire de l'Univers au cours de laquelle les quatre interactions fondamentales (électromagnétisme, interaction faible, interaction forte et gravitation) étaient unifiées. Max Planck était admiré par les plus grands scientifiques et Louis de Broglie (prix Nobel de physique, en 1929, pour sa découverte de la nature ondulatoire des électrons), dans son ouvrage Savants et découvertes (1), lui rend un très bel hommage : "L’ œuvre qu'il a accomplie en physique est de celle qui assure à leur auteur une gloire immortelle et, si quelque cataclysme ne vient pas anéantir notre civilisation, les physiciens des siècles à venir parleront toujours de la constante de Planck et ne cesseront de répéter avec admiration le nom de celui qui a révélé aux hommes l’existence des quanta". La découverte d'objets ultra-minuscules se fait durant les trois premières décennies du siècle dernier. Tout débute avec Max Planck à l'aube du XXᵉ siècle. Le 14 décembre 1900, il présente ses travaux à la Société allemande de Physique à Berlin, en proposant une solution pour résoudre le problème du rayonnement du corps noir (un corps absorbant totalement le rayonnement électromagnétique et qui émet un rayonnement thermique après équilibre). Max Planck établit que l'énergie se transmet par grains, ou petits "paquets d'énergies", qu'il appelle les quanta. Une nouvelle branche de la physique voit le jour, et c'est aussi l'origine du mot quantique, terme qui sera par la suite utilisé pour décrire tous les objets microscopiques de la matière (particules élémentaires, atomes).  Cinq ans plus tard, Albert Einstein introduira le concept de photons pour décrire ces paquets d'énergie. S'appuyant sur les découvertes de Max Planck, ce sont les travaux de Schrödinger et d'Heisenberg qui ont posé les bases de la physique quantique sous forme de principes et de lois mathématiques.

  • "Après quelques semaines qui furent certes remplies par le travail le plus acharné de ma vie, un éclair se fit dans l'obscurité où je me débattais et des perspectives insoupçonnées s'ouvrirent a moi." (2) L'éclair dans l'obscurité dont il est question, c'est l'hypothèse que les échanges d'énergie se font par petites quantités finies, des grains d'énergie, l'énergie ne s'écoulant pas comme de l'eau mais comme des grains déversés. Le monde jusque là décrit par la physique classique était continu, avec la physique quantique il apparaît quantifié.              

                   Heisenberg dit à  on sujet qu'il ne craignit point de s'écarter des anciennes conceptions : "Le fils de Planck a raconté que son père lui parla de ses nouvelles idées pendant une longue marche à travers le Grunewald, bois des environs de Berlin ; pendant cette promenade, il expliqua qu'il avait le sentiment d'avoir fait une découverte peut-être de premier plan, comparable seulement aux découvertes de Newton. Planck a donc dû se rendre compte dès ce moment-là que sa formule touchait aux fondements de notre description de la Nature (...). Planck était en général d'esprit conservateur et cette conséquence ne lui plaisait aucunement, mais il publia quand même son hypothèse du quantum en décembre 1900." (3) Sans nul doute, nous pouvons voir là l'audace scientifique d'un pionnier doté d'une grande imagination intuitive. Max Planck s'exprimera d'ailleurs à ce sujet lors d'une conférence prononcée en novembre 1941 à Berlin, intitulée Signification et limites de la science :  "Car la science exige plus que le don de l'intuition et que la bonne volonté de travailler ferme. Elle exige aussi que l'on porte à tous les détails une attention passionnée, laborieuse, fastidieuse, pour laquelle de nombreux scientifiques doivent souvent joindre leurs efforts afin de se préparer, dans la branche de la science qu'ils cultivent, à gravir l'échelon suivant du progrès. A coup sûr, lorsque le pionnier de la science lance les antennes tâtonnantes de sa pensée, il doit posséder une vive imagination intuitive, car les idées neuves ne sont pas engendrées par déduction, mais bien par une imagination artistiquement créatrice." (4)

                 Devant un si grand labeur, une question s'impose : qu'est-ce donc qui anime ces savants ? Dans le cas présent, que se passait-il dans l'intériorité de cet homme ? Il me semble que les propos suivants, de Max Planck lui-même, sont en mesure de nous apporter quelques éléments de réponse : "La seule chose que nous puissions réclamer pour nous-mêmes avec une assurance absolue, le plus grand bien qu'aucun pouvoir au monde ne puisse nous ravir, et ce qui plus que toute autre chose nous peut valoir davantage de permanent bonheur, c'est l'intégrité de l'âme, qui elle-même se manifeste dans le consciencieux accomplissement du devoir personnel. Et celui qui eut l'heureuse fortune de pouvoir coopérer à dresser l'édifice de la science, trouvera sa satisfaction et son bonheur intérieur, avec notre grand poète Gœthe, dans la certitude qu'il a exploré l'explorable, et sereinement vénéré l'inexplorable." (4)

                 Ce qui m'amène à m'interroger à nouveau : quelle était la position de Max Planck quant aux oppositions si souvent érigées entre Science et Religion ? Dans son autobiographie, nous apprenons qu'il considérait que partout où il portait son regard, il ne trouvait nulle part une contradiction entre religion et science de la nature : "Tout au contraire nous rencontrons une concordance totale dans les points même d'importance décisive. Religion et science ne s'excluent pas l'une l'autre, comme beaucoup de nos contemporains le croient ou le craignent ; elles se suppléent et se conditionnent mutuellement, l'une l'autre." (4) Il développe sa réflexion et estime que la preuve de cette compatibilité entre religion et science est le fait que les plus grands savants de tous les temps (il cite Kepler, Newton, Leibniz) étaient empreints du plus profond sentiment religieux. Il avance d'autres arguments : aux débuts de notre civilisation ceux qui pratiquaient les sciences de la nature étaient également les gardiens de la religion ; la médecine se trouvait dans les mains des prêtres ; au Moyen Âge la recherche scientifique se déroulait dans les monastères. Il expose que si l'écart des deux chemins s'intensifia, c'est en raison de la nature différente des tâches et des buts respectifs de la religion et de la science. 

  • Il conclut que "les deux routes ne divergent pas ; elles se déroulent parallèlement l'une à l'autre et elles finissent par se rencontrer en un but commun, qui est situé à l'infini. Notre meilleur moyen de comprendre exactement tout ceci c'est de poursuivre nos efforts (...) alors il apparaîtra, dans une clarté toujours croissante, que, malgré la différence des méthodes, - car la science opère avant tout avec l'intellect, la religion avant tout avec le sentiment, - la signification de l'œuvre et la direction du progrès n'en sont pas moins absolument identiques. Religion et science mènent ensemble une bataille commune dans une incessante croisade, une croisade qui ne s'arrête jamais, contre le scepticisme et contre le dogmatisme, contre l'incroyance et contre la superstition, et le cri de ralliement pour cette croisade a toujours été et sera toujours : Jusqu'à Dieu." (Conférence intitulée Science et religion, donnée en mai 1937 à Berlin, ouvrage Autobiographie scientifique (4))                                                                                                                                                                              
  •  1. Savants et découvertes, Louis de Broglie, éditions Albin Michel 1951
  •  2. Initiations à la physique, Max Planck, éditions Flammarion 1941
  •  3. Physique et philosophie, Werner Heisenberg, éd. Albin Michel 1971
  •  4. Autobiographie scientifique, Max Planck, Flammarion 1999, 2010

par Hélioa, 2016

 

Einstein et les débuts d'une quête scientifique  

À la recherche d'une théorie du champ unifié

 

                    Devenu célèbre dans le monde entier suite à la publication en mars 1916 de la théorie de la relativité générale, puis désigné prix Nobel en 1921 pour l'explication de l'effet photoélectrique, Albert Einstein est considéré comme l'un des plus grands scientifiques de l'histoire. Pendant plusieurs décennies, et ce jusqu'à la fin de sa vie en 1955, il s'attela à établir une théorie unifiant la gravitation et l'électromagnétisme. Dans son travail titanesque, la relativité restreinte de 1905 puis la théorie de la relativité générale furent des étapes successives pour tendre vers une compréhension globale de l'ensemble des phénomènes physiques.

              Depuis des siècles, de nombreux physiciens cherchent une compréhension unifiée de la diversité des phénomènes de la nature. Au XVIIe siècle, l'anglais Isaac Newton a unifié les mécaniques terrestres et célestes ; au XIXe siècle, l'écossais James Clerk Maxwell unifia l'optique, l'électricité, le magnétisme et l'induction ; entre 1905 et 1916, notre cher Albert Einstein, allemand devenu suisse devenu helvético-américain, a regroupé la théorie géométrique de l'espace-temps et la théorie de la gravitation. Jusqu'à sa mort, Einstein a recherché une théorie unifiée des champs qui aurait réuni dans un même formalisme la relativité générale – sa théorie de l'espace et de la gravitation – et la théorie électromagnétique: était-il possible de trouver une équation qui à elle seule aurait résumé l'ensemble des forces régissant l'Univers ? Depuis, la recherche de cette unification a grandement progressé, cependant dans une direction différente de celle qu'envisageait Einstein. Actuellement, deux théories sont nécessaires pour expliquer l'ensemble des phénomènes car le monde est à la fois dans un régime relativiste de courbure du champ gravitationnel et dans un régime quantique. Avec la relativité générale d'Einstein, la mécanique quantique est le deuxième grand pilier de la science. Le paradigme majeur sur lequel s'appuient les scientifiques dans leur compréhension actuelle de l'Univers repose toujours sur la relativité générale d'Einstein. La relativité générale, théorie du champ gravitationnel, nous parle de l'espace-temps. Le champ gravitationnel est en évolution, l'espace-temps se courbe en présence de matière, il est une sorte de substance qui se dilate, ce qui fait dire aux scientifiques que "l'Univers est en expansion". Le temps et l'espace sont tellement liés qu'on pourrait dire qu'ils sont les aspects d'une même entité sous-jacente. Le deuxième pilier, c'est la théorie des particules élémentaires et de leurs interactions, le "Modèle standard de la physique des particules". Il explique comment agissent les particules de matière, leurs forces et les particules porteuses. Élaboré au début des années 1970, il est le fruit des découvertes et théories de centaines de physiciens réalisées sur plusieurs décennies et essentiellement sur les bases des découvertes de la mécanique quantique. Ces dernières décennies, la science a grandement approfondi sa compréhension de la structure fondamentale de la matière. Elle nous explique que l'Univers est fait de douze constituants de base appelés particules fondamentales et qu'il est gouverné par quatre forces fondamentales. Le Modèle standard de la physique des particules permet de mieux comprendre la façon dont ces douze particules et les forces de la nature sont reliées entre elles. Par un certain succès à expliquer de nombreux résultats expérimentaux, le modèle standard est parfois vu comme une "théorie de presque tout". Cependant, bien que le modèle standard soit considéré comme une théorie efficace et cohérente, il n'explique pas certains phénomènes et il ne peut de ce fait prétendre être une théorie du tout. 

                  Actuellement, il existe des modèles plus spéculatifs mais ils ne bénéficient pas du même niveau de corroboration expérimentale. Ainsi, en quête de la Théorie de Grande Unification, nos vaillants scientifiques, tels des "chevaliers de la gravitation quantique", sont à la recherche de ce qu'ils désignent eux-mêmes comme le Graal scientifique. Souhaitons-leur une rapide et belle découverte !

par Hélioa, 2017 

 

                                Un théorème... poétique 

« On devrait commencer la grande unification cosmique par une toute petite unification : celle de l'homme lui-même. Comment un physicien non unifié peut-il concevoir une théorie de Grande Unification ? »   

  • Théorèmes poétiques, Basarab Nicolescu (éditions du Rocher, 1994)

 

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Thème Cosmos

"Einstein offre un exemple assez probant de cette foi en un ordre, et nombre de ses contributions proviennent d'une dévotion intuitive à un type  d'ordre  particulièrement  séduisant. L'une de ses fameuses remarques est inscrite en allemand dans le hall de l'université de Princeton : "Dieu est subtil, mais il n'est pas malicieux". C'est-à-dire que le monde que Dieu a créé est peut-être complexe et difficile à comprendre pour nous, mais il n'est pas arbitraire et illogique." 

Charles Townes, prix Nobel de physique en 1964 (Science et quête de sens, éditions Artège 2005, 2019)

Albert Einstein 

Sa conception de la religiosité cosmique

 

             Suscitant intérêt et interrogation, Albert Einstein a utilisé à plusieurs reprises le mot Dieu, notamment dans ses célèbres formules "Dieu est subtil, mais pas malicieux" et "Dieu ne joue pas aux dés". Des propos qui ont fait l'objet de diverses interprétations ; d'aucuns y ont vu de simples tournures de langage alors que d'autres ont envisagé la possibilité de convictions religieuses. Qu'en est-il ? Il s'avère que la question mérite étude et réflexion, d'autant plus que ses propos semblent parfois contradictoires.

           Que ce soit dans ses correspondances ou bien à l'occasion d'entrevues ou de prises de parole, Albert Einstein (1879-1955) aborda plusieurs fois la question de Dieu, celle de l'existence d'un Esprit supérieur, mais aussi la thématique des religions, n'hésitant pas parfois à parler de superstitions et de naïveté à leur sujet. Né dans une famille d'origine juive mais non pratiquante, Einstein n'a jamais parlé de son adhésion à l'âge adulte à une des religions monothéistes. Dans une lettre manuscrite qu'il adressa au philosophe Eric Gutkind en 1954, Einstein y réfute clairement toute croyance religieuse. Pour autant, nous pouvons nous poser la question de savoir si ce savant était habité d'un élan spirituel. Effectivement, et bien que cela ne soit pas souvent évoqué, nombreux sont les scientifiques qui n'ont pas caché leur intérêt pour la métaphysique, parfois pour le sacré, et d'autres fois encore pour certains, leurs propres croyances religieuses. De Schrödinger, on entend beaucoup parler de son chat (proposition d'une expérience de pensée au sujet d'un paradoxe de la physique quantique qu' Erwin Schrödinger décrivit à Albert Einstein dans l'une de leurs correspondances) mais jamais de son goût pour la métaphysique ; et pourtant celui-ci était bien ancré chez ce savant, plusieurs de ses ouvrages en attestent, tout comme cette affirmation : "Une véritable suppression de la métaphysique ferait de l'art et de la science des squelettes pétrifiés, dépourvus d'âme, incapable du moindre développement ultérieur." (1). Si la religion est définie comme un ensemble déterminé de croyances et de dogmes définissant le rapport de l'homme avec le sacré, la spiritualité au sens large, quant à elle, ne désigne pas l'adhésion à un système de croyances et de rituels religieux, mais une quête et un élan spirituels. Ainsi, il est envisageable de penser qu' Einstein était habité d'une profonde interrogation métaphysique comme le suggère cette citation du savant s'adressant à Paul Dirac et Esther Salaman : "Je veux savoir comment Dieu a créé ce monde. Je ne m'intéresse pas à tel ou tel phénomène ni au spectre de tel ou tel élément. Je veux connaître ses pensées. Le reste, ce ne sont que des détails." (2) (souvenir de 1915 relaté par une des ses étudiantes berlinoises, Esther Salaman, "A Talk with Einstein", Listener n°54). Les pensées de Dieu !? Des propos qui peuvent étonner de la part de celui qui a aussi déclaré plusieurs fois ne pas croire en un Dieu personnel. Einstein, scientifique de haute notoriété, était-il seulement libre de s'exprimer ouvertement ? Ses propos étaient-ils les mêmes avec tous ses interlocuteurs ? Avait-il réussi à trancher dans son intériorité son questionnement métaphysique ? Il est aussi possible qu' au terme d'un cheminement intérieur, Einstein ait établi sa propre conviction personnelle sur ce sujet, mais auquel cas, il n'aura pas souhaité s'exprimer publiquement à ce sujet, tout du moins précisément. Certains éléments ont bien été portés à notre connaissance. En 1929, lorsque le rabbin Herbert S. Goldstein lui demande s'il croit en Dieu, Einstein lui répond : "Je crois au Dieu de Spinoza qui se révèle lui-même dans l'ordre harmonieux de ce qui existe, et non en un Dieu qui se soucie du destin et des actions des êtres humains." (3) Des propos qui rejoignent en partie cette autre déclaration en réponse à la question "Croyez-vous en Dieu ?" dans un entretien avec G.S. Vierek ("Qu’est-ce que la vie signifie pour Einstein?", Saturday Evening Post. 26, octobre 1929) : "Je ne suis pas athée. Je ne sais pas si je peux me définir comme panthéiste. Le problème est trop vaste pour nos esprits limités." (4) Nous pouvons donc, sans trop nous tromper, dire que sa pensée était toute autant éloignée des conceptions de ceux qu'il appelait les "athées fanatiques" que des croyances de la religion traditionnelle. Une seule certitude, la question de Dieu ne le laissait pas indifférent : "Il parlait si souvent de Dieu que je le soupçonnais d'être un théologien déguisé" estima l'écrivain Friedrich Dûrrenmatt. (5)

                      Dans l'ouvrage  Comment je vois le monde (un essai qui regroupe des articles rédigés par Einstein à partir des années 1930), Albert Einstein évoque avec intensité une certaine forme de sentiment qui peut animer le scientifique dans sa démarche. Aux interprétations qu'il serait possible d'en faire, je préfère davantage vous retranscrire ce passage riche en éléments susceptibles de nourrir votre propre réflexion : "Je prétends que la religiosité cosmique est le ressort le plus puissant et la plus noble de la recherche scientifique. Seul, celui qui peut mesurer les efforts et surtout le dévouement gigantesque sans lesquels les créations scientifiques ouvrant de nouvelles voies ne pourraient venir au jour, est en état de se rendre compte de la force du sentiment qui seul peut susciter un tel travail dépourvu de tout lien avec la vie pratique immédiate. Quelle joie profonde à la sagesse de l'édifice du monde et quel désir ardent de saisir, ne serait-ce que quelques faibles rayons de la splendeur révélée dans l'ordre admirable de l'univers, devaient posséder Kepler et Newton, pour qu'ils aient pu, dans un travail solitaire de longues années, débrouiller le mécanisme céleste ! Celui qui ne connaît la recherche scientifique que par ses effets pratiques arrive aisément à avoir une conception absolument inadéquate de l'état d'esprit de ces hommes qui, entourés de contemporains sceptiques, ont montré la voie à ceux qui, imbus de leurs idées, se sont ensuite répandus dans la suite des siècles, à travers tous les pays du monde. Il n'y a que celui qui a consacré sa vie à des buts analogues qui peut se représenter d'une façon vivante ce qui a animé ces hommes, ce qui leur a donné la force de rester fidèles à leur objectif en dépit d'insuccès sans nombre. C'est la religiosité cosmique qui prodigue de pareilles forces. Ce n'est pas sans raison qu'un auteur contemporain a dit qu'à notre époque, vouée en général au matérialisme, les savants sérieux sont les seuls hommes qui soient profondément religieux." Einstein souligne que sa conception de la religiosité du scientifique "réside dans l'admiration extasiée de l'harmonie des lois de la nature(...). Ce sentiment est le leitmotiv de la vie et des efforts du savant, dans la mesure où il peut s'élever au dessus de l'esclavage de ses désirs égoïstes. Indubitablement, ce sentiment est proche parent de celui qu'ont éprouvé les esprits créateurs religieux de tous les temps." (6)

                  Dans cet ouvrage, au-delà de la célèbre figure d'un scientifique de grand génie, nous apparaît un homme empli d'une sagesse et d'une grande humanité. Le chercheur y aborde des sujets majeurs tels que la politique, le pacifisme, l'économie, la science mais aussi les domaines sociaux et culturels. En raison de ses origines juives, de ses opinions pacifistes et de son engagement social et politique, Albert Einstein fut contraint de partir pour les États-Unis quand l'idéologie nazie s'est répandue en Allemagne.  

                   Einstein était aussi, sans nul doute, un amoureux des mots et des formules verbales. Habité par un profond sentiment d'émerveillement devant le mystère de la vie, il partagea son émotion avec un enthousiasme sans détour : "La plus belle chose que nous puissions éprouver, c'est le côté mystérieux de la vie. C'est le sentiment profond qui se trouve au berceau de l'art et de la science véritables. Celui qui ne peut plus éprouver ni étonnement ni surprise est pour ainsi dire mort ; ses yeux sont éteints." (6)

  • 1. Ma conception du monde, Erwin Schrödinger, 1962
  • 2. The Ultimate Quotable Einstein, Princeton Press 2011
  • 3.  Réponse d'Einstein au rabbin Herbert S. Goldstein, télégramme 1929
  • 4. "Qu’est-ce que la vie signifie pour Einstein ?", Saturday Evening oct.1929
  • 5. Albert Einstein : Ein Vortrag, Dûrrenmatt, 1979
  • 6. Comment je vois le monde, Albert Einstein, éd. Flammarion 1979, 2009

par Hélioa, 2018

 

              Des équations aux formules verbales

Les jeux d'esprit d'Einstein

                                      

          Si Albert Einstein  a acquis une renommée internationale pour ses découvertes scientifiques, il doit aussi sa grande popularité à son excentricité, ses jeux de mots espiègles, son humour et sa provocation. Il aimait tirer la langue aux idées reçues !

         Pas toujours identiques, des citations d'Einstein sont diffusées à peu près partout (médias, internet) et pourtant leurs références sont rarement mentionnées. The Ultimate Quotable Einstein est la dernière édition d'un recueil de citations publié par Princeton Press, en 2011. Sachant qu'Einstein fut présent à l'Institut des études avancées de Princeton à partir de 1933 et pour de nombreuses années, cet ouvrage, fruit de 15 ans de recherches d'Alice Calaprice, mérite d'être cité. Ce livre n'est pas traduit en français dans son intégralité mais il existe tout de même un petit ouvrage très agréable qui reprend une partie de ce travail réalisé pour faire émerger les propos authentiques du savant : Les sautes d'humour d'Albert Einstein (éditions Payot poche, 2017)

  • "Ce sont les gens qui me donnent le mal de mer, pas la mer ; mais je crains que la science n'ait pas encore trouvé de remède à cette maladie."   archives Einstein 48-663                                                                                
  • "La science sans la religion est boiteuse, la religion sans la science est aveugle." extrait d'un texte rédigé pour un symposium à New York en 1940                                                                                    
  • "Quand je juge une théorie, je me demande : si j'étais Dieu, est-ce que j'aurais agencé le monde comme ça ?" voir Harry Woolf 1980                                                                                                                       

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"Nous sommes faits de poussières d'étoiles" déclarait l'astronome américain Carl Sagan dans sa série documentaire de vulgarisation scientifique Cosmos. Une expression qui sera reprise par Hubert Reeves pour intituler l'un de ses ouvrages. Les résultats des recherches scientifiques sur la généalogie de la matière composant les êtres vivants ont rendu possible cette affirmation : nos corps sont constitués de matière cosmique, nous sommes bel et bien des enfants des étoiles. Depuis l'événement appelé Big Bang, modèle cosmologique élaboré par la science pour décrire l'origine et l'évolution de l'Univers, la matière s'est organisée, des atomes jusqu'aux galaxies, des étoiles jusqu'aux organismes vivants. Au fil des siècles, de Ptolémée à Galilée, d'Harlow Shapley à Georges Lemaître, nos connaissances techniques de l'Univers n'ont jamais cessé de s'améliorer !

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                                                                 Exploration du réel ? De multiples approches !

L'expérience du monde

 

                 La science a prouvé son efficacité dans l'exploration du macrocosme, l'Univers à grande échelle, tout comme dans la découverte du microcosme, poussant l'étude de l'infiniment petit jusqu'au monde quantique. Elle a créé des outils de mesure particulièrement performants qui ont permis de découvrir des aspects du monde qui nous entoure qui n'étaient pas accessibles avec nos sens habituels. Elle est active pour scruter et pousser la découverte des domaines invisibles. Pour autant, l'exploration du réel et de " l'invisible " est-elle exclusivement du ressort de la science ? 

                  Que la science remette en cause certaines superstitions, pourquoi pas, mais qu'en est-il d'un savoir ancestral en lien avec une sagesse millénaire ? La grande histoire de l'aventure spirituelle de l'humanité, retracée à travers le vécu, le témoignage ou l'enseignement de sages, de mystiques et de maîtres spirituels de tous les continents, révèle que certains êtres ont percé à jour des réalités par des biais différents que celui de l'usage de l'intellect, à savoir avec la conscience, dans sa dimension intuitive, et lors d'évènements ou de manifestations liés à la transcendance. Et si ce monde dans lequel nous sommes tous immergés, ce monde dont chacun de nous est une partie, pouvait aussi être appréhendé par le phénomène de la conscience, et ce par tout être humain, grâce à une faculté intrinsèque de percevoir et de ressentir l'immensité de la vie ? 

               D'autre part, que dire de la littérature et plus particulièrement de la pensée philosophique ? Il convient d'indiquer que les discours philosophiques sont multiples et que je propose ici d'évoquer celui du philosophe Henri Bergson (1859-1941). Bergson ne nie pas la science, il l'englobe dans sa pensée : "Établir entre la métaphysique et la science une différence de dignité, leur assigner le même objet, c’est-à-dire l’ensemble des choses, en stipulant que l’une le regardera d’en bas et l’autre d’en haut, c’est exclure l’aide mutuelle et le contrôle réciproque : la métaphysique est nécessairement alors — à moins de perdre tout contact avec le réel — un extrait condensé ou une extension hypothétique de la science. Laissez-leur, au contraire, des objets différents, à la science la matière et à la métaphysique l’esprit : comme l’esprit et la matière se touchent, métaphysique et science vont pouvoir, tout le long de leur surface commune, s’éprouver l’une l’autre, en attendant que le contact devienne fécondation. Les résultats obtenus des deux côtés devront se rejoindre, puisque la matière rejoint l’esprit. Si l’insertion n’est pas parfaite, ce sera qu’il y a quelque chose à redresser dans notre science, ou dans notre métaphysique, ou dans les deux. La métaphysique exercera ainsi, par sa partie périphérique, une influence salutaire sur la science. Inversement, la science communiquera à la métaphysique des habitudes de précision qui se propageront, chez celle-ci, de la périphérie au centre." (La Pensée et le Mouvant (1)). L'œuvre d'Henri Bergson, Collège de France, Académie française et prix Nobel de littérature en 1927, mérite encore et toujours notre attention. Il ne s'est pas opposé à la science mais au positivisme, c'est à dire, à une philosophie qui expose la supériorité de la connaissance scientifique sur toute autre forme de pensée ou de connaissance. Il s'est élevé contre le matérialisme, système de pensée qui ramène toute réalité strictement à la matière, et il a eu à cœur de mettre en avant l'importance de l'intériorité et le fait qu'il était plus que nécessaire de lui reconnaître sa légitimité. En 1941, Paul Valéry dira de lui, dans son discours sur Bergson (2) : "très haute, très pure, très supérieure figure de l'homme pensant, et peut être l'un des derniers hommes qui auront exclusivement, profondément, et supérieurement pensé, dans une époque du monde où le monde va pensant et méditant de moins en moins (...), il avait rendu le service essentiel de restaurer et de réhabiliter le goût d'une méditation plus approchée de notre essence". A l'heure où une grande partie de notre civilisation moderne semble avoir fait le choix de la pensée matérialiste et de l'extériorité, la littérature et la philosophie constituent plus que jamais un espace complémentaire à travers lequel l'être humain peut chercher à mieux comprendre le monde pour apprendre à mieux vivre. Comme le disait déjà Diderot en son temps : "hâtons-nous de rendre la philosophie populaire". J'attire maintenant votre attention vers la pensée de l'écrivaine polonaise Olga Tokarczuk, prix Nobel de littérature 2018. Dans l'ouvrage Le tendre narrateur, elle nous propose une réflexion au sujet des manières de raconter la vie et le monde : "De nos jours, il semble que le problème réside en ceci que, non seulement nous n’avons pas encore de narration pour l’avenir, mais que nous n’en possédons pas même pour notre très concret « maintenant », pour les changements ultrarapides qui interviennent dans le monde actuel. Il nous manque un langage, des points de vue, des métaphores, des mythes et des fables nouvelles. En revanche, nous voyons comment on s’efforce d’intégrer de vieux récits inadaptés, rouillés et anachroniques aux visions de l’avenir ; sans doute en application du principe selon lequel une chose existante vaut mieux qu’un nouveau rien, à moins que ce ne soit la ligne de fuite des horizons bouchés. Pour le dire brièvement, nous manquons de nouvelles manières de raconter le monde." (3) Olga Tokarczuk nous invite à créer une nouvelle narration à partir d'un regard élargi qui engloberait la totalité et la diversité du monde avec l'ensemble des informations et des points de vue. La littérature est pour elle une possibilité d’apporter de nouvelles perspectives de voir le monde, de raconter le monde, et si la narration change alors le monde pourrait changer : "Le conformisme est une des briques de la société, sans lui, pas de société telle que nous la connaissons. Mais ce conformisme bâillonne tout acte de liberté. C’est quelque chose de contraire à la création." "J’essaye de sortir des genres, de leur limite, je déteste les tiroirs des genres", " Je crois très profondément que pour changer la narration du monde, il faut changer notre regard, notre regard manque d'unité, il ne tend pas vers la recherche d'un monde qu'on pourrait redécouvrir à nouveau en lui accolant une certaine unité. Je pense que nous vivons dans un réseau d'interdépendances et il faudra ouvrir notre esprit de façon synthétique et procéder à mettre en place une nouvelle synthèse du monde." (propos recueillis sur France Culture, 12/2020). Nombre de nos contemporains sont aussi en quête de sens, et bien souvent la philosophie et/ou la spiritualité apportent des éléments de réponse à ce qui se présente pour certains comme un souhait, et pour d'autres, comme un véritable besoin vital. Quant à l'art, riche de toutes ses facettes, il arrive qu'il dégage une force ou un attrait sur quelques âmes, qu'il invite à la réflexion et qu'il aide à retrouver le sens du merveilleux. 

                D'Orient et d'Occident, mythes, approches spirituelles, perspectives philosophiques, discours scientifiques, créations artistiques, sont autant de façons d'appréhender "ce qui est", autant de manières de décrire le monde. Les nuits étoilées de Van Gogh m'émerveillent tout autant que les magnifiques photos des supernovas ! Tout cela participe au "grand récit" et nous offre la possibilité d'une compréhension plus complète de la nature de l'existence. Notre histoire universelle est riche de cette pluralité qui nourrit notre imaginaire, notre connaissance, notre soif de sens. Comme l'a dit très justement le Dalaï-Lama qui plaide pour une invitation au dialogue, "La science est d'une importance vitale, mais elle n'est qu'un des doigts de l'humanité" ; ainsi, nous pouvons développer une vision du monde à partir des apports de la science "mais sans nier la richesse de la nature humaine et la validité des modes de connaissance autres que le mode scientifique" (Tout l'Univers dans un atome (4)). La même ouverture d'esprit de la part du scientifique Sir John Eccles, prix Nobel de physiologie et de médecine en 1963 pour ses travaux sur les synapses neuronales : " Il faut admettre que nous sommes à la fois des êtres spirituels ayant une âme qui existe dans le monde spirituel et des êtres matériels avec un corps et un cerveau qui existent dans le monde matériel." (cité dans De l'esprit à la matière (5)). Des propos tout autant ouverts et pondérés de la part du scientifique Lee Smolin, auteur de La révolution inachevée d'Einstein : "Avoir un esprit scientifique, c’est d’abord respecter les faits consensuels qui résultent de générations de résolutions de conflits, mais c’est aussi être attentif à ce qui demeure inconnu. Il est indispensable de rester humble et de garder à l’esprit la notion d’un mystère essentiel du monde. Plus nous les examinons de près, plus les aspects connus deviennent mystérieux : plus on en sait, plus c’est étrange. Rien, dans la nature, n’est suffisamment ordinaire pour que sa contemplation ne puisse conduire vers un sentiment d’émerveillement et de gratitude de faire partie de tout cela.(...) Je vois personnellement peu de raisons de conflit entre la plupart des religions et la science. De nombreuses religions acceptent – voire célèbrent – la science comme la voie de la connaissance du monde naturel. Il subsiste suffisamment de mystère au-delà, à propos de l’existence et de la signification du monde, pour que science et religion trouvent des sujets de discussion, même s’ils n’aboutissent pas nécessairement." (6) Du mystère ? Enfin, le mot est prononcé. Dans l'ouvrage Connaissance, ignorance, mystère, le philosophe et sociologue Edgar Morin, habilement présenté par son éditeur comme un penseur transdisciplinaire et indiscipliné, lui attribue la vertu de stimuler et fortifier le sentiment poétique de l'existence. Ce grand esprit français souligne le fait que les plus grandes avancées scientifiques font s'accroître "l'inconnaissance" en même temps que la connaissance. Celui qui déclare être de ceux qui s’émerveillent de l'Univers plutôt que de ceux qui lui trouvent un sens ou le rationalisent, expose sa pensée : "L'étonnement ininterrompu conduit à l'interrogation ininterrompue. Je cherche et trouve tant et tant d'explications dans les sciences, mais ces explications contiennent de l'inexplicable et suscitent de nouvelles interrogations. Je sais que ma raison, mon esprit m'ouvrent sur le monde, la réalité, la vie, et je sais en même temps qu'ils m'enferment dans et par leurs limites, et que le monde, la réalité, la vie que je connais recouvrent de l'inconnu. Je vis de plus en plus avec la conscience et le sentiment de la présence de l'inconnu dans le connu, de l'énigme dans le banal, du mystère en toutes choses et, notamment, des avancées du mystère en toutes avancées de la connaissance.(...) J'ai passé ma vie entière à m'occuper et me préoccuper du mystère humain. Il fait partie d'un mystère plus ample." (7) Invitation à l'humilité.

             Science, spiritualité, philosophie, sont autant de démarches complémentaires qui cherchent, au moyen d'investigations différentes, à comprendre la nature de la réalité. In fine, n'y est-il pas à chaque fois question d'une meilleure compréhension du monde et de l'humain avec le même but, à savoir l'amélioration de la vie ? Qui plus est, rien n'est figé, la grandeur de la science sera peut-être un jour d'apporter du sens. Claude Bernard, célèbre médecin et physiologiste du 19ième siècle, a-t-il fait preuve d'un optimisme exagéré en déclarant : "Je suis persuadé qu'un jour viendra où le physiologiste, le poète et le philosophe parleront la même langue et s'entendront tous" ? Quant à Carl Sagan, grand astronome américain, il n'a pas hésité à partager sa vision du spirituel : "La science n'est pas seulement compatible avec la spiritualité, c'est une source profonde de spiritualité. Lorsque nous reconnaissons notre place dans l'immensité des années-lumière et à travers les âges, lorsque nous saisissons la complexité, la beauté et la subtilité de la vie, alors ce sentiment d'exaltation, ce sentiment d'enivrement et d'humilité combinés, est certainement spirituel. Il en va de même de nos émotions en présence d'œuvres d'art, de musique ou de littérature, ou d'actes de courage historique comme ceux de Gandhi ou de Martin Luther King. Dissocier la science de la spiritualité dessert à la fois l'une et l'autre." (8). De nos jours, de nombreux exemples nous montrent que les contours entres les disciplines s'estompent. Assurément, il convient de s'en réjouir. Nous disposons de la liberté de placer notre intérêt dans les sciences, dans la spiritualité, dans les religions, dans la philosophie, dans les arts, dans la culture, ailleurs ou nulle part. Nous pouvons accorder une certaine valeur à tous ces champs, ou pas. Toujours est-il que le conscient et l'inconscient collectif sont indubitablement irrigués par toutes ces versions qui font le monde, c'est à dire l'histoire de l'humanité. 

                 Que dire de la poésie ? La poésie, la littérature, l'art en général, ouvrent l'esprit, le réveillent en faisant appel aux ressources personnelles du récepteur, à ses aptitudes de compréhension, son discernement et son intuition. Je crois en la puissance de quelques vers pour nous faire vibrer, nous toucher en plein cœur, en pleine âme, pour nous déloger de notre léthargie, nous interroger et parfois nous bouleverser. L'accès à ce que la poésie a à dire n'est possible que si le lecteur ouvre l'espace adéquate à la rencontre avec les mots et le sens. Lenteur, silence, disponibilité, c'est aussi en cela que la poésie est un présent. Par ce ralentissement qu'elle induit dans nos vies, cet accès à un autre mode de fonctionnement, elle ouvre notre présence à ce qui est. Le geste poétique et artistique n'est pas neutre. Il participe à rendre justice à la profondeur de la vie, à sa diversité, aux infinis aspects du réel. Le poète, muni d'outils d'investigation différents, explore lui aussi et tente d'ouvrir de nouveaux horizons à notre compréhension de la réalité. Poétiser la vie, loin de la draper dans un tissu doux et sécurisant, c'est la sonder et c'est communiquer avec elle d'une nouvelle façon.

               Ne miser que sur les sciences dites "dures" ou "exactes" pour tenter de saisir autant que faire se peut la richesse et la complexité du réel, est préjudiciable, tout comme l'est la tentative de réduire les champs d'exploration de la vie que sont la philosophie, la littérature, les arts, la spiritualité, et d'autres approches, à des pratiques secondaires et accessoires. C'est amoindrir considérablement notre rapport au monde, sa compréhension, et c'est aussi prendre le risque de se priver d'éventuelles approches porteuses de sens à l'heure des grands défis auxquels l'humanité est confrontée.  La découverte du monde et du réel est une action éminemment audacieuse et importante qui ne peut être laissée entre les mains d'une seule discipline.

                Qu'il y ait des tensions et des conflits entre la science et d'autres disciplines, ceci est bien connu de tous. S'il me semble nécessaire de le rappeler, je tiens plus encore à souligner les prises de paroles et les rapprochements en faveur d'un dialogue. Tout d'abord, commencer par rappeler que des voix qui portent se sont faites entendre lors de plaidoyers pour la pluridisciplinarité et la transdisciplinarité : Basarab Nicolescu, Edgard Morin et Michel Serres. Puis, je souhaite évoquer bien sûr ces dialogues entre spécialistes de disciplines différentes : l'abbé Pierre et le biologiste Albert Jacquard dans l'ouvrage Absolu (1989) ; Krishnamurti et David Bohm dans les livres Les Limites de la pensée et Le temps aboli ; la rencontre entre l'astronome Carl Sagan et le Dalaï Lama en 1991 ; ou encore, Matthieu Ricard et Trinh Xuan Thuan dans l'ouvrage L'Infini dans la paume de la main, du Big Bang à l'Éveil (2000). Je remonte le temps en 1979 pour dire quelques mots au sujet du Colloque de Cordoue dont le thème était "Science et Conscience, les deux lectures de l'Univers". Son ambition était de confronter les points de vue de scientifiques et de penseurs d'autres disciplines ; pour Michel Cazenave, son organisateur, il s'agissait avant tout "d'essayer d'explorer les voies par lesquelles, un jour peut-être, l'homme pourrait se réconcilier avec lui-même, réunir dans une grande gerbe la puissance de sa raison et la profondeur de son âme, et tendre à une harmonie de ces différentes fonctions, qui prendrait la relève de cette guerre civile permanente dont il est le théâtre au plus intime de son être." (9). Vous signaler aussi, plus récemment, un livre particulièrement intéressant,  Science et quête de sens dont le but est de mettre du lien entre des disciplines apparemment éloignées, la Science et la Spiritualité, et de "concevoir, au-delà des oppositions de façade, l'existence d'une cohérence globale derrière l'analyse des évolutions scientifiques et les propos philosophiques" comme l'explique Jean Staune dans la préface (10). C'est un ouvrage collectif dont la plupart des textes sont issus de rencontres et de débats qui ont eu lieu dans le cadre d'un projet interdisciplinaire mené sur plusieurs années entre des scientifiques de grande renommée internationale. L'apport des sciences pour notre compréhension du réel et le nécessaire dialogue entre les disciplines m'apparurent assez tôt évidents. Cet état d'esprit m'incita à assister à un de ces cycles de conférences (colloques interdisciplinaires dont il est fait mention plus haut) qui eut lieu en 2002 à l'Unesco. Avec un vif intérêt, je fus attentive à la qualité des interventions des participants à ce congrès intitulé  "Science et Quête de sens". J'espère ici les citer tous : Charles Townes, prix Nobel en 1964 pour la découverte du laser ; Thierry Magnin, physicien du CNRS et prêtre catholique, Dr en théologie et professeur de physique quantique ; Hubert Reeves, astrophysicien, ancien directeur de recherche au CNRS; Khalil Chamcham, astrophysicien et Dr en physique nucléaire ; Joël Primack, un des inventeurs de la théorie de la Matière Noire ; Lothar Schaeffer, professeur de physique quantique à l'université d'Etat de l'Arkansas ; Werner Arber, prix Nobel de Médecine pour sa découverte des enzymes de restriction ; Christian de Duve, prix Nobel de Médecine 1974 pour ses découvertes sur le fonctionnement de la cellule ; Thomas Odhiambo, président de l'Académie africaine des Sciences ; Praveen Chaudhari, physicien ;  Ramanath Coswick, qui a fait construire le plus haut observatoire du monde ; Trinh Xuan Thuan, astrophysicien bien connu, spécialiste de la formation des galaxies et auteur de nombreux ouvrages de vulgarisation ; Bernard d'Espagnat, physicien théoricien ; Paul Davies qui a publié plus de 25 ouvrages spécialisés et vulgarisés ; Ahmad Hassan Zewail, prix Nobel de Chimie 1999 ; William Phillips, prix Nobel de Physique 1997 ; Bruno Guiderdoni, astrophysicien, directeur de recherche au CNRS ; et enfin, the last but not the least, la célèbre Jane Goodall ! 

                En guise de conclusion quelque peu digressive - quoique puisque les façons "d'être au monde" sont aussi des manières d'explorer le réel, certes individuelles et non plus collégiales - saluons l'attitude de ces scientifiques qui n'hésitent pas à nous parler de centres d'intérêt parfois bien éloignés du domaine professionnel qui les a fait connaître. C'est ainsi que Jean-Pierre Luminet évoque son goût pour la poésie (belle anthologie de poèmes dans l'ouvrage Les poètes et l'univers, 2012) et qu'Hubert Reeves met sa notoriété au service de la cause écologique. Dans l'ouvrage Science et Conscience, les deux lectures de l'univers, celui-ci nous offre une belle réflexion : " La voix du monde, l'ancienne alliance avec l'univers, ce n'est sans doute pas la science qui peut nous les faire retrouver, c'est l'oreille intérieure, c'est la voie des correspondances poétiques, musicales ou mystiques, c'est la voie du contact avec l'imagination. Ce qu'il faut, à présent, c'est de réconcilier en nous les deux démarches; non pas en nier une en faveur de l'autre, mais faire en sorte que l'œil qui scrute, qui analyse et qui dissèque vive en harmonie et en intelligence avec celui qui contemple et vénère. Après les longs conflits que notre culture a connus entre chacune de ces voies, le besoin que nous ressentions tous est celui de la réconciliation. Nous ne pouvons pas vivre une seule démarche, à peine de devenir fous ou de nous dessécher complètement. Il nous faut apprendre à vivre maintenant en pratiquant à la fois la science et la poésie, il nous faut apprendre à garder les deux yeux ouverts en même temps." (11).  Dialoguant avec Frédéric Lenoir sur France Culture (dans l'émission Les Racines du ciel, 05/2015), Hubert Reeves tient à nouveau des paroles empreintes de sagesse : "Je n'ai jamais vu de difficultés entre ces éléments, entre Dieu et le Big Bang, ça me paraît parfaitement compatible. Les lois vous disent comment ça marche mais elles ne vous disent pas ce qui est bon et ce qui n'est pas bon. C'est un autre domaine, c'est le domaine religieux, moral, éthique."  Une compatibilité pour certains et bien plus pour d'autres. Trinh Xuan Thuan - qui s'est vu décerné par l'Unesco le prix Kalinga qui récompense des scientifiques ayant contribué à l'information scientifique du grand public - est d'avis que la cosmologie moderne a réenchanté le monde "en redécouvrant l'ancienne alliance entre l'homme et le cosmos" : "l'homme n'a pas émergé par hasard" dans l'univers, car si celui-ci est si grand, c'est pour "accommoder l'émergence d'une conscience intelligente capable d'appréhender sa beauté et son harmonie." (12). Dans l'ouvrage Vertige du Cosmos (2019), cet éminent astrophysicien développe ces très audacieux points de vue et disserte sur Brahma, le Yin et le Yang, Stonehenge, les multivers et la transcendance. Vertigineuse pensée ! 

  •  1.  La Pensée et le Mouvant, Henri Bergson, 1934
  •  2.  Discours sur Bergson, Paul Valéry, 1941
  •  3.  Le tendre narrateur, Olga Tokarczuk, discours de réception du prix Nobel de littérature 2018, éditeur Noir Sur Blanc 2020
  •  4.  Tout l'Univers dans un atome: science et bouddhisme, une invitation au dialogue, Dalaï Lama, 2006, éditions Pocket 2008
  •  5.  De l'esprit à la matière, Dawson Church, éditions Dangles 2019
  •  6.  La révolution inachevée d'Einstein, Lee Smolin, éditions Dunod, 2019
  •  7.  Connaissance, ignorance, mystère, Edgar Morin, éditions Fayard, 2017
  •  8.  The Demon-Haunted World, Science as a Candle in the Dark, Carl Sagan,1995
  •  9.  La science et l'âme du monde, Michel Cazenave, Bibliothèque Albin Michel Sciences, 1996
  • 10. Science et quête de sens, éditions Presses de la Renaissance 2005, éditions poche Artège 2019
  • 11. Science et Conscience, les deux lectures de l'univers, collectif d'auteurs, éditions Stock 1984
  • 12. Face à l'Univers, collectif d'auteurs, éditions Fayard, collection Pluriel 2017

par Hélioa, 2018, mise à jour 2020

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D'autres ouvrages 

scientifiques ou de réflexion autour des sciences et du cosmos   

       

Le monde quantique et la conscience,  Henry P. Stapp (Dervy 2016)

Physique et philosophie, la science moderne en révolution, Werner Heisenberg (éditions Albin Michel 1971)

La partie et le tout, le monde de la physique atomique, Werner Heisenberg (éditions Flammarion 2016)  

La Plénitude de l'univers, David Bohm (éditions du Rocher 1990)

La Conscience et l'Univers, David Bohm, David Peat (éditions Alphée 2007)

Poussières d'étoiles, Hubert Reeves (Seuil 1984 / Points 2014)

L'Infini dans la paume de la main, du Big Bang à l'Éveil,  Trinh Xuan Thuan, Matthieu Ricard (éditions Nil 2000)

Dialogues avec l'Univers, Sylvie Vauclair (Odile Jacob 2015)

De l'origine de l'Univers à l'origine de la vie, Sylvie Vauclair (Odile Jacob 2017)

Terre(s), Thomas Pesquet (Michel Lafon 2017)

Face à l'univers, Trinh Xuan Thuan, Matthieu Ricard, Jean d'Ormesson, Edgar Morin (Fayard/Pluriel 2017)

Dialogues sous le ciel étoilé, Jean-Pierre Luminet, Hubert Reeves (Robert Laffont 2016)

Vertige du cosmos, Trinh Xuan Thuan (Flammarion 2019)

Les multivers, Mondes possibles de l'astrophysique, de la philosophie et de l'imaginaire, Collectif d'auteurs (Barrau, Gyger, Kistler, Uzan) (Flammarion Champs Sciences 2020)

 

Vers un nouveau paradigme scientifique ?

Voyage au cœur de la conscience

 

 article non scientifique, étude et réflexion d'un esprit curieux 


 

                 "La science, mon garçon, est faite d'erreurs mais d'erreurs qu'il est bon de commettre, car elles mènent peu à peu à la vérité." Ce sont les paroles qu'adresse le truculent professeur Lidenbrock à son neveu, dans le roman d'aventures Voyage au centre de la Terre de Jules Verne. Certes, la science, ensemble de savoirs en évolution permanente, ne cesse de développer ses connaissances pour s'approcher au plus près de la vérité. C'est une vision qui somme toute en appelle à l'humilité, et le propos a une tournure plutôt bienveillante, je la conçois donc comme une adéquate introduction à cet article. 

                  De nos jours, les scientifiques sont d'accord pour s'entendre sur le fait que la science est un système de connaissances et de représentations dont certaines sont appelées à être révisées ou remplacées. De siècle en siècle, la science a progressé et les révolutions scientifiques de la Renaissance et des Lumières ont permis d'améliorer considérablement nos perceptions du monde. Consciente de la temporalité de certaines connaissances, qui ne sont pas des vérités éternelles, la grandeur de la science réside également dans sa capacité à adopter la posture de la remise en question. D'ailleurs, il n'est pas rare que les avancées de la science délivrent de nouvelles connaissances mais aussi de nouvelles interrogations. Dans l'histoire des sciences, plus cohérent et efficace que le précédent, un paradigme en a toujours remplacé un autre. D'une façon générale, un paradigme est une manière de représenter le monde et de concevoir les choses, et c'est aussi un modèle cohérent élaboré au sein d’un domaine spécifique, à une époque donnée. Ce terme est devenu une notion importante en science après la publication, en 1962, d'un essai de l'américain Thomas Samuel Kuhn, intitulé La structure des révolutions scientifiques (1). Un ouvrage incontournable pour qui s'intéresse à l'histoire des sciences et à l'épistémologie. Philosophe des sciences et historien des sciences, Kuhn y explore le mécanisme des révolutions scientifiques et met en exergue le rôle joué par les paradigmes dans le déroulement de la recherche scientifique. Il utilise le concept de paradigme pour désigner l'ensemble des principes, des problèmes et des méthodes, ayant cours à une certaine époque, partagés par les membres d'une communauté scientifique. Il le présente comme un modèle qui fait consensus et regroupe, pour un temps, scientifiques et chercheurs autour de problèmes types, de solutions et de découvertes scientifiques universellement reconnues*. Kuhn décrit un processus discontinu dans la production des connaissances et des théories. Au cours de son évolution, la science est traversée par des crises, en raison d'anomalies et d'énigmes majeures, qui sont résolues avec l'apparition de découvertes scientifiques. Le paradigme en cours est remis en question et abandonné au profit d'un nouveau, élaboré grâce à une ou plusieurs nouvelles théories. Kuhn expose une dynamique cyclique où alternent les phases de "science normale" (transmission et perfectionnement des connaissances acquises ; recherches dirigées essentiellement à l'intérieur d'un cadre théorique consensuel ; travail scientifique visant un ajustement du paradigme en cours) et les phases de "science extraordinaire" (débats et confrontations de points de vue ; propositions de modèles plus spéculatifs), par exemple le passage du modèle cosmologique de Ptolémée à celui de Copernic, qui aboutissent à de nouvelles conceptions et à une évolution de la pensée scientifique. À l'aune des travaux de cet historien des sciences, il apparaît que le creuset scientifique, aussi performant soit-il, prend parfois les allures d'un carcan, lorsque le paradigme dominant en vient à être écrasant, excluant du champ de recherches certaines pistes et décourageant les audaces scientifiques. *Je vous renvoie à la lecture de sa postface de 1969 dans laquelle il apporte d'amples précisions et de nouvelles distinctions au sujet de ce concept-clé.

                 Je pose quelques instants mes pinceaux pour vous parler de science, et ceci me semble légitime même si l'auteur n'a pas de formation scientifique, car c'est intéressant aussi le regard que tout un chacun peut avoir sur une discipline qui lui était auparavant étrangère et vers laquelle il dirige son attention, surtout s'il le fait avec étude et sérieux. Au fil des siècles, l'évolution de la pensée humaine s'est faite en lien avec les grandes découvertes et les représentations scientifiques du monde qui en ont découlé. Les dernières découvertes scientifiques ont élargi de façon significative nos perspectives sur le monde et il me semble utile de le souligner. Le XXᵉ siècle fut riche de nombreuses avancées scientifiques mais la conscience collective met du temps à les intégrer dans son mode de pensée. Porter notre attention sur l'évolution des connaissances peut non seulement nous enrichir intellectuellement mais aussi, en améliorant notre compréhension du monde, nous permettre de nous situer par rapport à celui-ci. La science continue et continuera de nous apporter des explications sur le fonctionnement du monde et sur celui de l'être humain, sur ses facultés habituelles ainsi que celles dites paranormales. Au sujet de ces dernières, dans son livre Connaissance, ignorance, mystère (2)le sociologue Edgar Morin ose les questions et les suppositions que beaucoup ne veulent pas entendre : "L'importante question demeure : sommes-nous liés, exilés, séparés des réalités indicibles ? Y participons-nous sans le savoir ? Par fulgurances ? Quelle relation notre esprit pourrait avoir avec une réalité inconnaissable et ineffable ? Les transmissions de pensée vérifiées, les prémonitions et les voyances prédictives vérifiées sont comme des trouées dans le temps (prémonitions, voyances) ou dans l'espace (télépathie) qui indiqueraient que nos cerveaux auraient l'aptitude à participer tangentiellement ou par éclairs à cette réalité inséparée, sans temps ni espace." (page 42 sur la Réalité). Et plus loin dans le même ouvrage, le philosophe pousse sa réflexion aux interrogations ultimes : "Y a-t-il une intelligence qui se serait dégagée du chaos ? Y aurait-il dans l’organisation cosmique quelque chose qui aurait un caractère cognitif ?" (page 63 sur l'Univers).

                 Nous sommes tous des explorateurs du réel, chacun de nous à sa façon : le marcheur qui arpente les plus belles régions du monde, le moine bouddhiste qui élève sa conscience vers une réalité plus vaste, le scientifique qui explore avec de performantes technologies le monde de l'infiniment petit, le poète qui retranscrit en vers le fruit de son rapport au monde. Découvrir, explorer, tenter de connaître, de comprendre et de transmettre : à travers le partage du fruit de leurs expériences, les explorateurs enrichissent notre connaissance du monde. Vous le savez et l'avez sans doute expérimenté, il y a une foule d'approches passionnantes pour se lancer dans l'exploration du monde. Alors, pourquoi ne pas s'intéresser à plusieurs d'entre elles pour tenter de comprendre au mieux la réalité ? Les pensées dualistes séparant ou opposant science et conscience, visible et invisible, spirituel et matériel, corps et esprit, ont causé un tort considérable à notre civilisation. Il est plus que temps d'envisager une réconciliation des domaines de l'activité humaine et cela commence par un abandon des postures de rivalité, d'antagonisme et de position de suprématie. 

                  Ce qui m'apparaît important c'est que la science permet à un large public de revisiter sa vision du monde et d'actualiser son mode de pensée. Confrontés aux nouvelles découvertes, les physiciens eux-mêmes réactualisent la pensée scientifique : fin du rêve laplacien (auparavant, la science classique s'appuyait sur la notion de certitude et de maîtrise, de permanence, de prévision, de déterminisme) ; remise en cause du réductionnisme ontologique (il apparaît que le tout est plus que la somme des parties) ; interrogation sur le rôle de la conscience puisqu'il est montré que l'observateur interagit sur le réel ; hypothèse de l'existence d'une forme de conscience interconnectée et non-locale d'après des découvertes en physique quantique mais aussi en neurosciences, etc... A l'heure actuelle, celle des grands défis auxquels l'humanité est confrontée, il apparaît nécessaire de faire évoluer nos schémas collectifs de perception du monde et de perception de l'être humain.              

                Depuis plusieurs siècles, la science s'articule autour d'une conception mécaniste et fragmentée du monde. Les disciplines scientifiques se sont spécialisées pour explorer les différents aspects de la réalité et ont offert de l'univers la vision d'un immense système matériel. En cosmologie, la science décrit l'histoire de l'Univers comme celle du développement de la matière, de la vie et des organismes vivants, un processus considéré tel un épiphénomène à partir d'un hasardeux et très chanceux assemblage complexe de la substance matérielle. Le monisme matérialiste scientifique qui règne en Occident affirme que la réalité est exclusivement physique. Précisons qu'en Orient, dans de nombreux pays imprégnés des traditions spirituelles, telles que l'hindouisme et le bouddhisme, la pensée n'a jamais cessé d'accorder une place importante à l'âme et à la conscience, privilégiant en outre une vision holistique du monde. En Occident, au XXᵉ siècle, les discours des scientifiques convaincus que la recherche devait aller de pair avec des réflexions philosophiques ont eu peu d'écho, quand bien même leur démarche était soucieuse d'éviter tout syncrétisme. Le physicien autrichien Erwin Schrödinger (1887-1961) développa dans ses écrits et à l'occasion de conférences publiques son point de vue sur le potentiel transformateur de l'analyse faite sur les avancées scientifiques. Rappelons qu'il participa grandement au développement du formalisme théorique de la mécanique quantique, ce qui lui valut le prix Nobel de physique de 1933. De nos jours, on parle beaucoup du chat de Schrödinger (expérience de pensée scientifique où un chat est mort et vivant) mais rarement de la pensée de ce pionnier de la théorie quantique qui portait aussi un vif intérêt aux philosophies d'Occident et d'Orient. Il serait impossible de présenter brièvement les considérations métaphysiques et les réflexions philosophiques de Schrödinger, d'une part parce que ses sources d'inspiration, de Spinoza à Schopenhauer, des grands penseurs grecques à la spiritualité hindouiste, sont multiples et variées, d'autre part en raison d'un discours qui requiert une analyse approfondie. Signalons simplement qu'il tenta d'apporter sa contribution à l'ouverture d'esprit de ses contemporains, notamment en partageant certaines des connaissances léguées par les savoirs anciens. Lors de ce travail de transmission, parmi les diverses notions qu'il aborda, il évoqua le principe d'unification des esprits, "leur multiplicité est seulement apparente, en vérité il y a seulement un esprit", et il en appela à une évolution "en assimilant dans notre édifice scientifique occidental la doctrine orientale de l'identité", précisant avec lucidité les précautions inhérentes à une telle entreprise (L'esprit et la matière (3)). Il souligna les retards scientifiques en matière d'étude de la conscience, regrettant que ce pan de la réalité soit délaissé par la science. En outre, il considérait que la vraie valeur des sciences résidait dans leur apport pour la compréhension de la nature de l'être humain, à savoir qu'elles pouvaient fournir des éléments de réponse à la question fondamentale "Qui sommes-nous en définitive ?". Lorsqu'il rédigea Science and Humanism en 1951, il estima que plusieurs décennies seraient nécessaires pour que l'impact des dernières découvertes scientifiques exerce une action transformatrice sur les conceptions occidentales : "Évidemment, je ne suis pas un rêveur idéaliste, au point d'espérer accélérer substantiellement ce processus par quelques conférences publiques. Mais, d'autre part, ce processus d'assimilation n'est pas automatique. Nous avons à y travailler. Je prends ma part à ce travail avec l'espoir que d'autres prendront la leur. C'est une partie de notre tâche dans la vie." (4). Refermons cette parenthèse sur ce prix Nobel de physique qui insista à maintes reprises sur la nécessité de reconstruire l'attitude scientifique. Certes, en Occident, le discours de la science a façonné la pensée dominante de toute une société qui considère aujourd'hui qu'un être humain n'est qu'un corps physique. Le constat est que notre société toute entière est conditionnée par ce paradigme matérialiste. Pourtant, une révolution se fait dans le monde des sciences, et ceci dans diverses disciplines, venant bousculer de vieux postulats érigés en dogmes. Et cela fait déjà quelques décennies que tout a été chamboulé... 

                   La découverte d'objets ultra-minuscules se fait au début du XXᵉ siècle. Tout débute avec le physicien allemand Max Planck (1858 - 1947) qui, le 14 décembre 1900, présente ses travaux à la société allemande de Physique, dans lesquels il avance la possibilité que les échanges d’énergie entre la matière et le rayonnement soient discontinus et faits par petits paquets qu'il appelle les quanta, d'où l'origine du mot quantique. Ce mot sera par la suite utilisé pour décrire tous les objets microscopiques de la matière (particules élémentaires, atomes). En 1905, Albert Einstein introduit le concept de photons pour décrire ces paquets d'énergie : il établit que la lumière est aussi composée de particules de masse nulle appelées photons. Au cours des années 1920, les physiciens découvrent que la lumière se manifeste tantôt sous un aspect corpusculaire, tantôt sous un aspect ondulatoire, ceci selon les circonstances de l'expérience scientifique. La lumière prend alors à la fois le statut d'ondes et de photons. Louis de Broglie, célèbre mathématicien et physicien français, se demande quant à lui si les particules matérielles, à l'époque connues (électrons, protons et neutrons), peuvent aussi prendre l'aspect d'ondes. Une hypothèse qui est confirmée par des expériences lors desquelles des électrons ou des protons se comportent exactement comme des ondes. En 1924, il propose une nouvelle théorie de la mécanique qu'il nomme mécanique ondulatoire, où une onde est associée à chaque particule. La matière se révèle être à la fois particules et ondes. Louis de Broglie devient lauréat du prix Nobel de physique de 1929, pour sa découverte de la nature ondulatoire des électrons, qui révolutionne la physique en étendant à toute la matière la dualité onde-corpuscule élaborée par Einstein pour la lumière. En 1926, le physicien allemand Max Born propose une nouvelle façon d'interpréter l'onde en introduisant les probabilités. La fonction d'onde associée à la particule en un point de l'espace à un moment donné représente la probabilité de trouver cette particule en un point à cet instant. Développées par la suite par d'autres scientifiques, les probabilités quantiques ont marqué la fin du déterminisme. La description quantique des phénomènes qui était déterministe devient indéterministe. Je ne vous cache pas que ce concept a suscité des débats entre les scientifiques ! D'où une nouvelle vision, la lumière et la matière sont des ondes quand elles se déplacent, et elles se transforment en particules (la "réduction du paquet d'ondes") quand elles sont observées ou qu'elles sont en interaction avec quelque chose. Ainsi, ce qui fut à la base de la science classique, les notions de point matériel et de position ne s'appliquent plus devant les connaissances offertes par le monde de l'infiniment petit. L'observation n'est pas neutre : si on observe une particule, son état change, il passe de l'état ondulatoire à l'état corpusculaire. Le déterminisme, fondement essentiel de la science classique est remis en cause avec l'énoncé du principe d'incertitude d'Heisenberg qui expose qu'on ne peut connaître en même temps la position et la vitesse d'une particule. Heisenberg a développé la formulation probabiliste de la fonction d'onde. Einstein, avec deux collaborateurs, tenta de remettre en cause ce principe d'incertitude (paradoxe EPR). En 1982, le physicien Alain Aspect et son équipe donnèrent tort à Einstein en prouvant le principe d'intrication quantique ou de "non-séparabilité", phénomène théorisé en 1935 par Erwin Schrödinger. La non-localité est une découverte majeure de la physique quantique : ce principe repose sur l'intrication qui expose des connexions persistantes entre les particules ayant interagi ensemble avant d'être séparées, même si les distances sont très grandes. Cette expérience scientifique, qui pourrait sembler à prime abord pour le lecteur sans grande conséquence, est pourtant primordiale car à elle seule elle revisite la vision du monde. Cela remet en question les notions d'espace et de temps : deux particules intriquées, qui dans notre monde physique sont séparées par plusieurs kilomètres, forment pourtant une seule et même entité qui s'étend "au-delà de l'espace-temps" selon les propos du physicien Nicolas Gisin. Avec l'idée d'une "extériorité à notre monde", on pourrait parler d'un retournement de concept. La non-séparabilité est un concept très important des récentes découvertes en mécanique quantique et cette perspective a agité bien des imaginations car certains scientifiques envisagent des applications pratiques possibles (par exemple la téléportation d'information). Que de remarquables avancées de la science !  

                  C'est donc au cours des trois premières décennies du XXᵉ siècle que les principes fondamentaux de la physique quantique sont posés, donnant naissance à des concepts radicalement nouveaux qui conduisent les scientifiques à penser autrement la matière et ses interactions. Les physiciens ont réalisé que la physique classique, opérationnelle pour décrire notre environnement quotidien, était inadéquate et inopérante à l'échelle microscopique. Ainsi, la physique moderne nous apprend que la matière est en fait une illusion car plus cette science sonde l'infiniment petit et plus elle s'aperçoit qu'il n'existe pas de grain de matière, à un moment de l'observation la matière n'est plus, elle a laissé place à la vibration. Notre monde classique fait d'objets physiques solides découvre un autre monde fait de possibilités et d'interconnexions. Avec l'usage de nos yeux, il y substance, avec l'appareil sophistiqué, la matière perd sa substance. Il me semble que la première chose à savoir est que la mécanique quantique est la branche de la physique qui a démontré que les atomes et les particules subatomiques ne sont pas réellement des objets solides, à savoir qu'ils n'existent plus de manière certaine en des endroits et des temps définis, car dans le domaine quantique, les atomes et les particules montrent des tendances possibles à exister, révélant ainsi un monde de potentialités plutôt qu'un monde de choses et de faits. Et là, ça devient intéressant.

                La mécanique quantique a aussi mis en avant qu'observer une particule changeait son état, ce qui est appelé l'effet de l'observateur. Le caractère probabiliste de la fonction d'onde a entraîné le physicien sur un nouveau terrain où mesurer ne revient pas à révéler l'état de l'onde ou de la particule telle qu'elle est au moment où on l'observe, car il s'est avéré que le processus de la mesure entraînait une modification de l'onde elle-même. Comprenez que ce qui est recueilli ce sont les données concernant l'onde modifiée, et non pas les données de son état juste avant la mesure. "Ce que nous observons n'est pas la nature elle-même, mais la nature exposée à nos méthodes d'investigation...Les lois naturelles que, dans la théorie des quanta, nous formulons mathématiquement, ne concernent plus les particules élémentaires proprement dites, mais la connaissance que nous en avons. La question de savoir si ces particules existent en elles-mêmes dans l'espace et dans le temps ne peut donc plus être posée sous cette forme ; en effet, nous ne pouvons parler que des événements qui se déroulent lorsque, par l'action réciproque de la particule et de n'importe quel autre système physique, par exemple des instruments de mesure, on tente de connaître le comportement de la particule" expliquait déjà Heisenberg (1901-1976) au milieu du XXᵉ siècle (La nature dans la physique contemporaine (5)). Pour certains scientifiques, l'observateur est même un participant. C'est la position du physicien américain John Wheeler (1911-2008), l'un des derniers collaborateurs d'Einstein, qui nous explique que lorsque nous sommes dans le processus d'observation, d'étude et de sondage de la nature, nous devenons des participants : "Pour observer un objet aussi minuscule qu'un électron, l'observateur doit atteindre l'objet. Il doit installer l'équipement de mesure qu'il a choisi. C'est à lui de décider s'il mesurera la position ou la vitesse. En tout état de cause, il ne peut pas mesurer les deux. En outre, la mesure modifie l'état de l'électron. L'univers ne sera jamais le même ensuite. Pour décrire ce qui s'est produit, il faut rayer l'ancien mot d'observateur et lui substituer le terme de participant. D'assez étrange façon, l'univers est un univers de participation." (The Physicist's Conception of Nature (6)). Le processus expérimental a été révélateur de l'interaction du physicien avec la nature observée. En explorant le monde quantique, le physicien a découvert un univers de participation, un monde de relations et de potentialités.

                 Un autre aspect révolutionnaire révélé par la science est que le vide est plein d'énergie. Selon les théories de fluctuation quantique du vide, celui-ci serait rempli d'énergie, de particules et d'antiparticules, des particules fantômes appelées par les spécialistes les fluctuations de point zéro. Déjà le calcul de l'inégalité de Heisenberg (également nommé le principe d'incertitude ou parfois le principe d'indétermination) avait permis d'établir la présence de beaucoup plus d'énergie dans le vide que dans l'univers observable. La Plénitude de l'univers est le titre d'un ouvrage du physicien David Bohm (7). Selon ses calculs, il y aurait dans un centimètre cube d'espace vide plus d'énergie que celle qui se trouve dans la matière de l'univers connu. 

 « Regarde le vide ! Tu y trouveras des trésors » Jules Renard (Journal)

                   En 1922, le philosophe Henri Bergson et le physicien Albert Einstein échangeaient leurs idées respectives sur la nature du temps. La physique a découvert que le temps n'existe pas. Plus précisément, la relativité restreinte a établi que l'écoulement du temps est une illusion et que la réalité existerait dans un espace-temps qui lui ne s'écoule pas. C'est ce qu'exprima Albert Einstein dans une lettre datée du 21 mars 1955 : "Pour nous, physiciens dans l'âme, la distinction entre passé, présent et futur ne garde que la valeur d'une illusion, si tenace soit-elle." Pourtant, le temps étudié par la physique quantique et le temps éprouvé lors de nos expériences humaines quotidiennes semblent si différents ! Avec les nouvelles avancées, la gravité quantique à boucles a discrédité le temps ordinaire en le montrant discontinu, et la théorie des cordes a discrédité l'espace avec la longueur de Planck... mais je vous laisse vérifier si j'ai bien tout compris et je vous oriente vers les ouvrages d’Étienne Klein, de Thibault Damour, de Carlo Rovelli et de Marc Lachièze-Rey. Aussi étonnant que cela puisse nous sembler, la physique moderne nous dit que le temps est une illusion, et cela ne s'arrête pas là puisque "le voyage dans le futur" a été scientifiquement prouvé. Il a été vérifié de façon expérimentale avec le cas des jumeaux ainsi qu'avec l'expérience des horloges synchronisées. C'est tout simplement révolutionnaire mais nous pouvons constater que dans la conscience collective ces aspects ne sont pas du tout intégrés et même à peine connus. La science-fiction véhicule parfois quelques-uns des nouveaux concepts, relançant à cette occasion l'intérêt du public pour les avancées de la science, mais les conséquences philosophiques des dernières découvertes sont, quant à elles, peu abordées. 

                  La science progresse et certaines de ses découvertes sont à même de faire avancer considérablement notre compréhension du réel. Cependant, l'attention est peu tournée vers les avancées fondamentales de la science, leur apport intellectuel et leur portée philosophique. Qui plus est, la course au profit et à l'utilitaire dirige la recherche appliquée. Que l'on vise les retombées pratiques de la science est bien normal, pour autant, l'esprit initial de la Science - expliquer le monde ; la connaissance pour la compréhension et la conscience de ce qui est -  est malmené depuis de nombreuses années par une orientation générale de la recherche vers les brevets, l'innovation, la rentabilité, le profit. C'est pourquoi, tout comme il fut question de souligner dans les premiers textes de cette page ce qui animait les grands esprits scientifiques d'Einstein et de Planck, la fin de cet écrit sera consacrée à deux scientifiques qui se sont interrogés sur la réalité ultime du monde phénoménal et se sont impliqués dans les prémices d'un nouveau paradigme au sein duquel une place primordiale est donnée à la conscience. 

                  Tout d'abord, David Bohm (1917-1992), un physicien américain qui a réalisé d'importantes contributions en physique théorique et en physique quantique. Il est aussi connu pour avoir développé une ample réflexion sur les implications métaphysiques et philosophiques de cette dernière. Il proposa une nouvelle vision globale du monde à partir de sa théorie de l'ordre implicite. Selon lui, le monde matériel que nous percevons avec nos sens et à l'aide d'instruments de mesure ne serait qu'un aspect d'une réalité sous-jacente plus profonde. En outre, il était enclin à établir un dialogue entre la science, la psychologie et la spiritualité, échangeant à ce sujet avec Krishnamurti (d'où la parution de deux ouvrages : Les Limites de la pensée et Le temps aboli). Plus récemment, Henry Stapp, dont il s'agit ici de présenter en substance le travail. Le physicien Henry Stapp, né en 1928, fait partie des rares chercheurs avant-gardistes qui étudient les liens entre la mécanique quantique, la conscience et le cerveau. Ses recherches lui accordent une excellente reconnaissance dans ce domaine. Il a été l'élève de deux grands fondateurs de la physique quantique, Wolfgang Pauli et Werner Heisenberg, et il a obtenu son doctorat en physique des particules sous la supervision du prix Nobel de physique Emilio Segrè. Par la suite, Henry Stapp est devenu chercheur au prestigieux laboratoire de l'université de Berkeley en Californie, tout en travaillant à certaines occasions avec Pauli, Heisenberg et John Wheller sur des problèmes de mécanique quantique. Fruit de sa longue carrière de scientifique, il a établi une conception de la réalité qui est celle d'une "réalité psycho-physique dynamiquement intégrée". Il considère que la théorie matérialiste qui énonce que la conscience provient de l'activité du cerveau n'a jamais été démontrée de façon définitive. Pour ce scientifique, l'hypothèse alternative est de considérer que la conscience n'est pas un simple produit de l'activité du cerveau, mais une entité à part entière. Il avance l'hypothèse que le cerveau ne produit pas la conscience, qu'il en serait le récepteur au même titre qu'un poste de radio qui reçoit les ondes électromagnétiques. D'un point de vue scientifique, c'est une conception novatrice, ses détracteurs sont nombreux, campés sur des positions tranchées, ce qui m'amène à saluer les propos humbles et mesurés de l'astrophysicienne et professeur émérite Sylvie Vauclair : "Je ne sais pas ce qu'est la conscience. Je ne sais pas si elle repose uniquement sur les propriétés émergentes d'une association très complexes d'atomes ou s'il existe autre chose que nous ne connaissons pas encore. Je ne sais pas si cette "autre chose", s'il existe, s'apparente ou non à nos religions. La science apporte des certitudes, des acquis, tout en continuant à ouvrir de nouveaux domaines et poser de nouvelles questions." (Dialogues avec l'Univers (8)). Pour Henry Stapp, dans sa vision de la réalité, l'esprit a donc un rôle fondamental. Dans l'ouvrage Le monde quantique et la conscience, paru en France en 2016, il explique comment la physique quantique a considérablement enrichi nos perspectives sur le monde et sur la place d'un être vivant au sein de celui-ci. En argumentant à partir des découvertes quantiques, notamment le rôle primordial de l'observateur, il expose que la réalité ultime est davantage de l'ordre de l'esprit que de la matière. Élargissant son propos, étant donné l'impact sur la société de notre vision de ce que sont l'homme et le monde, il apparaît que ce scientifique entend réintroduire la notion de sens et, disons-le, réenchanter le monde. Il nous invite à envisager une vision scientifique de la réalité considérablement éloignée de la conception newtonienne représentée par la physique classique. Sous son regard scientifique, les êtres humains passent de l'état d'automates biologiques à celui de participants conscients et co-créateurs d'un avenir commun. Ne tenant compte que de considérations strictement scientifiques, il conclut qu'il considère que nous évoluons dans un monde psychophysique dont la réalité sous-jacente est spirituelle (c'est le terme qu'il utilise). Je le cite : "La physique quantique orthodoxe révoque donc l'idée classique selon laquelle nous ne serions que des rouages mécaniques dans un univers au mouvement d'horlogerie; que nous n'aurions pas la capacité, via nos efforts mentaux, ni de subvenir à notre survie ni de faire progresser nos valeurs, ou bien encore d'optimiser le monde pour d'autres. Cette image classique pernicieuse des êtres humains, qui domine de bien des manières institutionnalisées la société dans laquelle nous vivons, a été transformée, grâce à une avancée profonde de la science, en une image quantique de nous-mêmes et de notre place dans le cosmos, qui fournit une fondation scientifique cohérente pour des vies humaines auréolées de buts et de sens" (9). Enfin, Henry Stapp, conscient que la science jouit d'une haute estime - que les verdicts réguliers qu'elle émet sont reconnus comme des vérités établies, ceci par tous, les citoyens, les gouvernements, les administrations - estime que les physiciens quantiques ont une responsabilité de nos jours pour réactualiser une vision scientifique du monde erronée. Son ouvrage est destiné à exposer au grand public la modification de la compréhension scientifique de la nature des choses issue des découvertes quantiques. Selon lui, nul doute qu'il y a de fortes implications morales et sociales à passer d'une conception mécaniste de la réalité, qu'il considère désormais expérimentalement invalidée, à une conception psychophysique basée sur l'empirisme. 

                  D'ores et déjà, d'aucuns ne manquent pas de minimiser la portée des théories de ce scientifique, mais rappelons que Nicolas Copernic, Giordano Bruno, Galilée, Kepler et même Einstein ont développé des idées nouvelles qui ne correspondaient pas à la pensée scientifique dominante de leur époque respective. A l'heure actuelle des grands défis auxquels nous sommes confrontés, il m'apparaît que de nouvelles visions élaborées par des scientifiques réputés méritent notre intérêt car il se pourrait bien que des données essentielles aient été dites. Délivrant de nouvelles perspectives, il est important de replacer les dernières découvertes dans la pensée humaine et dans un cadre sociétal. Il est urgent de changer la vision du monde de la majorité des acteurs de la société car un nouveau paradigme est à la base de nouveaux comportements. Le passage d'un paradigme à un autre ne s'est jamais opéré à grand renfort d'ajustements et de précisions. Aujourd'hui, de nouveaux concepts sont mis en avant par des scientifiques qui nous disent que c'est notre conception même du réel qui est à revoir. Il est légitime et même souhaitable de réfléchir aux implications métaphysiques des nouvelles découvertes. Que notre approche soit philosophique, éthique, ontologique ou métaphysique, nous sommes invités à nous pencher sur la nature réelle de l'être humain et sur le sens de la vie. Le nouveau paradigme dont il est question dans le titre de cet article renvoie donc à l'idée de la possibilité de l'émergence d'une théorie scientifique incluant le rôle fondamental de la conscience. Encore faut-il que la communauté scientifique investigue ce domaine qui reste pour le moment un champ de recherche moins attractif que celui de l'intelligence artificielle ou du transhumanisme. 

                  Tout cela m'amène à dire quelques mots sur le processus de découverte en science. Si celui-ci est essentiellement alimenté par la rigueur, la pure logique et le travail le plus rationnel qui soit, il est connu que des scientifiques pionniers et avant-gardistes ont découvert grâce à leur intuition et leur imagination des lois contre intuitives dont certaines ne furent que bien plus tard validées, notamment grâce à la nouvelle technologie. Mais comment cela peut-il se produire ? À mon sens, bien souvent, c'est sur le terrain propice d'un esprit intellectuellement mûr et disposé, à savoir dont le système de pensée a déjà opéré sa propre révolution au regard de celui de ses contemporains, que certaines découvertes voient le jour. Qui plus est, quand bien même leur mécanisme profond échappe à l'investigation scientifique, l'inspiration et l'intuition sont souvent à l'œuvre dans les grandes découvertes, germant sur le terreau fertile d'une pensée libre et audacieuse. Henri Poincaré (1854-1912), grand mathématicien français et philosophe des sciences, attribuait à l'intuition une place essentielle dans le travail du chercheur. Ayant plusieurs fois lui-même expérimenté des éclairs intuitifs, il estimait que l'intuition avait joué un rôle majeur dans certaines de ses découvertes. Il en souligna l'importance dans son ouvrage La Valeur de la Science, publié en 1905 : "Ainsi, la logique et l'intuition ont chacune leur rôle nécessaire. Toutes deux sont indispensables. La logique qui peut seule donner la certitude est l'instrument de la démonstration : l'intuition est l'instrument de l'invention" (10). Aujourd'hui de plus en plus étudiée, l'intuition, cette capacité à obtenir une connaissance ou une information immédiate sans recours à la logique ni à l'expérience, est envisagée par certains comme un raisonnement analytique inconscient, quand d'autres y voient la possibilité d'un accès direct à de l'information.

  •  1.  La structure des révolutions scientifiques, Thomas Samuel Kuhn, éditions Flammarion Sciences 1983, réédité en 2018
  •  2.  Connaissance, ignorance, mystère, Edgar Morin, éditions Fayard 2017
  •  3.  L'esprit et la matière, Erwin Schrödinger, éditions Points Sciences 2016
  •  4.  Science and Humanism, Erwin Schrödinger, ‎Cambridge University Press 1951 (trad.française, Physique quantique et représentation du monde, éd. Seuil 1992)
  •  5.  La nature dans la physique contemporaine, Werner Heisenberg, éditions Gallimard Folio essais 2000 
  •  6.  The Physicist's Conception of Nature, John Wheeler, 1973 
  •  7.  La Plénitude de l'univers, David Bohm, éditions Du Rocher 1990
  •  8.  Dialogues avec l'Univers, Sylvie Vauclair, éditions Odile Jacob 2015
  •  9.  Le monde quantique et la conscience, Henry Stapp, éditions Dervy 2016
  • 10.  La Valeur de la Science, Henri Poincaré, 1905

par Hélioa, 2019

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Vies intelligentes dans l'Univers ?

Des généraux, des pilotes et des officiels parlent

 

               Pour l'astronaute Jean-François Clervoy (un des rares astronautes français à avoir réalisé plusieurs missions à bord de navettes spatiales ; a été détaché par la Délégation Générale pour l'Armement auprès du CNES, puis auprès de l'Agence spatiale européenne, ESA) l'existence des "ovnis" n'est plus à débattre : les incursions dans notre espace aérien de vaisseaux non-terrestres sont des phénomènes aérospatiaux avérés. 

                 Il déclara dans le documentaire Enquêtes Extraordinaires diffusé à la télévision en 2013 : "Ça n'est pas une question de croire ou de ne pas croire, ces phénomènes sont prouvés (...) Il y a une forme d'intelligence dans ce phénomène ou cet objet, mais aujourd'hui, avec tout ce que l'on connaît de possible sur Terre, on ne peut pas l'expliquer. Donc qu'est-ce qui reste comme hypothèse ? L'hypothèse extraterrestre.(...) Ceux qui pensaient qu'on était tout seuls sont de moins en moins nombreux." Voici également un extrait de sa préface du livre de Leslie Kean : "Ces deux questions a priori disjointes sont intéressantes. La première sur le plan technique : « Comment des engins de cette forme peuvent-ils voler sans faire de bruit et avec des accélérations défiant toute explication physique possible ? » et la seconde sur le plan philosophique et même religieux : « Sommes-nous seuls dans l’univers ? » Autant cette dernière fait l’objet de travaux multidisciplinaires avancés à travers la recherche d’exo-planètes habitables, l’instrumentation spécialisée embarquée à bord de nos sondes interplanétaires, et la réalisation d’expériences d’astrobiologie fascinantes à bord de l’ISS (station spatiale internationale), autant la première est passée sous silence. Pourquoi ? C’est dans l’espoir de trouver des réponses, même partielles, que je participe aux travaux d’une commission PAN récemment créée au sein de la 3AF (Association Aéronautique et Astronautique de France) société savante équivalent français de l’AIAA américaine. La bonne question devrait être : « Que sont ces PAN et d’où viennent-ils ? » Aucune hypothèse ne peut être écartée, naturelle ou artificielle, terrestre ou extraterrestre. J’adhère totalement à la démarche de Leslie Kean qu’elle expose en détail dans son introduction. Son livre extrêmement bien documenté présente non seulement les cas de PAN indiscutables, il analyse aussi, aux côtés de spécialistes, la psychologie humaine ayant conduit aux comportements du public, des autorités, des journalistes et des scientifiques souvent observés sur le sujet. Il est temps de chercher, avec des moyens adéquats, à comprendre ce que sont ces objets ou phénomènes apparemment intelligents surgissant dans notre ciel, dont la réalité est confirmée par de multiples sources. Nous ne savons pas ce que nous trouverons, mais l’ignorance est assurée si nous ne faisons rien. Au XXIe siècle, les scientifiques sont prêts à être surpris par ce que leurs instruments et télescopes découvriront loin de la Terre, les astronautes sont prêts à partir pour de longues durées explorer d ’autres corps célestes, les religieux sont prêts à accepter l’idée que la vie n’est peut-être pas exclusivement réservée à notre planète, les mentalités sont donc prêtes à évoluer pour écouter un discours plus complet et transparent sur les PAN. Merci Leslie de ce travail d’investigation remarquable qui convaincra le plus grand nombre de l’importance de se lancer sérieusement dans cette quête de la connaissance qui en final, devrait contribuer au rassemblement des hommes plutôt qu’à leur division. Je terminerai par mon slogan sur l’exploration : « Les gens ont peur de l’inconnu. Plus on explore et découvre, moins on a peur. » Jean-François Clervoy. 

               Les propos d'Yves Sillard, ancien Directeur général du Centre National d’Études Spatiales français (CNES), permettent eux aussi d'appréhender la situation sous un angle qui relève d'une exigence de vérité :  "La réalité objective des phénomènes aériens non identifiés, mieux connus dans le grand public sous le sigle ovnis, ne fait plus de doute. Le climat de soupçon et de désinformation, pour ne pas dire de dérision, qui entoure trop souvent la collecte de témoignages, illustre une forme surprenante d'aveuglement intellectuel." 

  • OVNIs, Des généraux, des pilotes et des officiels parlent, de la journaliste d'investigation Leslie Kean, éditions Dervy, 2014 

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          "La science n'est pas seulement compatible avec la spiritualité, c'est une source profonde de spiritualité. Lorsque nous reconnaissons notre place dans l'immensité des années-lumière et à travers les âges, lorsque nous saisissons la complexité, la beauté et la subtilité de la vie, alors ce sentiment d'exaltation, ce sentiment d'enivrement et d'humilité combinés, est certainement spirituel. Il en va de même de nos émotions en présence d'œuvres d'art, de musique ou de littérature, ou d'actes de courage historique comme ceux de Gandhi  ou de Martin Luther King. Dissocier la science de la spiritualité dessert à la fois l'une et l'autre." 

  • Extrait du livre The Demon-Haunted World, Science as a Candle in the Dark (1995) de Carl Sagan, astronome américain et auteur du roman CONTACT (1985), adapté au cinéma en 1997

 

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Gabriel Fauré  Requiem op 48 VII.  In Paradisum    ♪ ♫  

 écoute YouTube :   https://youtu.be/6-i1ESIRKdA?feature=shared 

 

 Gabriel Fauré  Requiem op 48 III.  Sanctus  

 écoute YouTube :  https://youtu.be/XFLM99FprvM?feature=shared

 

"Pour moi, l'art, la musique surtout consiste à nous élever le plus loin possible au-dessus de ce qui est." 

 Gabriel Fauré  

citation de l'ouvrage Gabriel Fauré, Philippe Fauré-Frémiet, 1957

                   O jour, lève-toi, les atomes dansent,

Les âmes, de joie, sans tête ni pieds, dansent.

Celui pour qui le firmament et l'atmosphère dansent,

A l'oreille, je te dirai où l'entraîne la danse. 

Djalâl-od-Dîn Rûmî  (Rubâi'yât)

Toi, nuit, tu avais beau tendre ta toile,

Sur l'océan s'est égarée une voile,

Pourtant, déchirant ton voile, tu montres

Qu'une seule flamme unit toutes les étoiles. 

François Cheng  (Enfin le royaume - Quatrains)

         Quand l'aube de l'amour divin commence à se lever

L'âme dans le corps des vivants prend son envol

L'homme arrive à cet état où, à chaque souffle, 

Sans se servir de ses yeux, il parvient à voir l'Ami.

Djalâl-od-Dîn Rûmî (Rubâi'yât) 

Veux-tu que se dévoile pour toi l'existence du Bien-Aimé ?

Renonce aux apparences, pénètre dans le réel.

Bien des voiles cachent son essence

Il est immergé en Lui-même et les deux mondes sont immergés en Lui.

Djalâl-od-Dîn Rûmî  (Rubâi'yât)

Une pensée, et l’immensité est emplie.

Si les fenêtres de la perception étaient nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l’homme - ainsi qu’elle l’est - infinie.

William Blake


L'âme n'aura de cesse de résonner avec un chant plus vaste que soi.

François Cheng (De l'âme, Sept lettres à une amie)

Toi, tu n'es pas dans l'espace, c'est l'espace qui est en toi.

Jette-le hors de toi, et voici déjà l'éternité.

Angélus Silésius (Le pèlerin chérubinique)  
 

 

Qui est là ? Ah très bien : faites entrer l’infini.

Louis Aragon (Une vague de rêves, 1924)

 

 

 

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Thème Cosmos

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