A R T I S T E   P E I N T R E   H É L I O A                        ~   P E I N T U R E          T E X T E S       E T    P O É S I E   ~

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Ce que nous voyons dans un musée peut profondément affecter ce que nous voyons quand nous le quittons.                                                                                                    
                                            Nelson Goodman      

     L' art en théorie et en action, 2009 (Mind and Other Matters, 1984)

 

 

La peinture est un art et l'art dans son ensemble n'est pas une vaine création d'objets qui se perdent dans le vide, mais une puissance qui a un but et doit servir à l'évolution et l'affinement de l'âme humaine. 

                                           Vassily Kandinsky                                                        
          Du Spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier, 1910

 

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"L'approche spirituelle n'est pas un luxe, mais une nécessité."

Matthieu Ricard, L'Infini dans la paume de la main, du Big Bang à l’Éveil, 2000

 

"Pour vous comme pour moi, retrouver et repenser l'âme s'avère une tâche nécessaire et urgente." 

François Cheng, De l'âme, sept lettres à une amie, 2016

 

"Il est de plus en plus évident que la civilisation de la puissance technique et du bien-être matériel a négligé les aspirations et besoins de l’esprit et de l’âme humaine. Son hyperactivisme a ignoré la vie intérieure, le besoin de paix et de sérénité, accordant à ces besoins un temps déterminé de loisirs ou de vacances pour mieux retourner à l’hyperactivité, au temps chronométré, à l’emprise du calcul, du profit et de l’intérêt personnel."
"Nous ne pouvons espérer qu'en l'éveil de la conscience et en la force de l'amour."  
Edgar Morin, Connaissance, ignorance, mystère, 2017
                         

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Thème Éveil, Sérénité

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Vous avez dit spiritualité ?

                    

                   Sur le fronton du temple de Delphes, est gravée une célèbre devise attribuée tantôt à Socrate, tantôt à Homère ou parfois encore à Apollon : "Connais-toi toi-même et tu connaîtras l'univers et les dieux". D'aucuns y ont vu une invitation à l'humilité et à la tempérance, tel un rappel à l'ordre pour de simples mortels, d'autres y voient un appel à l'éveil et à la transcendance. Pour ces derniers, se connaître serait donc connaître en soi la part divine. Pour ceux qui n'ont pas tranché la question, il est alors possible de laisser flotter cette devise dans un coin de leur esprit et, qui sait, un jour peut-être, elle prendra sens comme une évidence.

                   « J'écris le mot "âme", je le prononce en moi-même, et je respire une bouffée d'air frais. Par association phonique, j'entends Aum, mot par lequel la pensée indienne désigne le Souffle primordial. Instantanément, je me sens relié à ce Désir initial par lequel l'univers est advenu, je retrouve au plus profond de mon être quelque chose qui s'était révélé à moi, et que j'avais depuis longtemps égaré, cet intime sentiment d'une authentique unicité et d'une possible unité. »  François Cheng (de l'Académie française) De l'âme, Sept lettres à une amie.   

                        Le terme spiritualité vient du latin spiritualitas et spiritus qui signifient esprit et souffle. Dans nos sociétés occidentales, la notion de spiritualité reste floue pour nombre de personnes, tant il n'est pas rare d'entendre des interprétations multiples et variées : la spiritualité est souvent assimilée aux religions ; parfois elle est rattachée exclusivement aux sagesses venues d'Orient ; et d'autres fois encore, elle est associée au développement personnel. Le concept de spiritualité est donc appréhendé de bien des façons, que ce soit sous un aspect laïque ou bien alors religieux, mais aussi en fonction du contexte culturel et social. Il en ressort que les définitions qui en sont faites par divers auteurs ne se ressemblent guère. Pour autant, il semble possible d'en dégager les principales notions. La spiritualité concerne la relation de l'être humain avec ce qui est de l'ordre du sacré, du divin, du "plus grand que soi", et elle désigne également la quête de sens, le questionnement sur le mystère de l'existence. La vie spirituelle n'est donc pas réductible à la religion : la spiritualité peut se déployer dans le cadre d'une tradition religieuse mais une vie spirituelle peut aussi s'épanouir sans adhésion à des croyances religieuses. La spiritualité est un élan pour connaître et réaliser sa vraie nature. C'est une fonction naturelle et intrinsèque de l'être humain en quête de son origine, de son lien avec plus grand que lui. C'est une expérience directe et vivante qui se vit, s'éprouve, s'expérimente. Le chemin pour s'éveiller à sa véritable nature varie d'un individu à un autre, la croissance de l'esprit étant une affaire individuelle puisque tout être est unique. Cela peut se manifester sous la forme d'une expérience qui survient soudainement ou bien alors au cours d'un cheminement constitué d'étapes. L'éveil spirituel est tout autant une attention à notre intériorité qu'une attention au monde présent devant nos yeux, aux autres et à la nature dans son ensemble. C'est s'éveiller à soi-même, au monde manifesté ainsi qu'au monde non manifesté. Cela passe par la connaissance de soi, au-delà des apparences physiques et sociales. La spiritualité se manifeste par une ouverture d'esprit qui permet de regarder au-delà des apparences pour évoluer vers une conscience plus large. Ces premiers éléments apportés, il peut être utile que nous remontions le temps, au tout début de l'histoire de l'humanité...

                       Les êtres humains, devant les forces de la nature - des phénomènes grandioses mais aussi souvent terrifiants et énigmatiques - ont ressenti des sentiments de respect, d'admiration et de crainte. Pour les hommes de la préhistoire et les peuples premiers, la nature avait une place primordiale et elle représentait un lien à plus grand que soi. Ce fut le début de l'animisme, conception qui attribue aux choses une âme : les animaux, les éléments de la nature, l'eau, les arbres, le soleil, la lune et les étoiles étaient alors perçus comme animés par des esprits. C'est aussi les premiers temps du chamanisme, décrit comme un ensemble de rituels et de pratiques qui permettent d'entrer en contact avec le monde des esprits et qui visent la médiation entre les êtres humains et les esprits afin d'obtenir un soutien et une aide pour le déroulement de la vie quotidienne. Ainsi, très tôt dans l'histoire de l'humanité, se développèrent les premières expériences spirituelles et les premiers rites païens. A l'époque des chasseurs-cueilleurs, au Paléolithique, se développa le culte de la Déesse mère, symbole de la fécondité et de la Terre. Des figurines féminines retrouvées lors de fouilles archéologiques témoignent de rites destinés à vénérer la Terre, la figure de la femme et la fertilité. La majorité des chercheurs s'entendent aujourd'hui sur une thèse au sujet d'une forme de spiritualité des hommes du Paléolithique de diverses régions du monde et l'existence de croyances communes : l'existence des esprits de la nature, la croyance en la survie de l'âme, les pratiques visant à entrer en contact avec des forces surnaturelles. Après le Mésolithique, période des grandes migrations, l'homme commença au Néolithique, période qui débute vers 8000 av. J.-C., à domestiquer la nature et à vivre d'agriculture et d'élevage. Les anthropologues ont établi qu'à l'univers magique peuplé des esprits de la nature que s'était constitué l'homme depuis les tout premiers temps de notre histoire, s'est substitué un univers mythique constitué de dieux. A cette époque, l'homme commence à avoir recours à des rituels et des sacrifices pour de multiples dieux et déesses dans le but d'obtenir des faveurs telles que des protections ou des récoltes abondantes. C'est l'instauration des premiers systèmes polythéistes. Des sanctuaires puis des temples de plus en plus complexes sont construits et la religion, tout juste apparue, se développe par ce biais. L'expérience directe de tout un chacun avec les esprits de la nature est remplacée par le rôle central des prêtres ou d'individus privilégiés perçus comme des intercesseurs auprès des forces extérieures. Ainsi, la relation au divin se codifie. De ces premières expériences de contact à ce qui dépasse l'être humain est née la notion de sacré. Dans une certaine mesure, il est aussi possible de considérer que la spiritualité, en tant qu'aspiration naturelle de l'être humain à se relier à plus grand que lui, à une réalité transcendante, est aussi ancienne que l'humanité et que de ce fait elle existait déjà bien avant les institutions religieuses. Avançons dans le temps... Les premières formes de monothéisme apparaissent 2000 ans avant J.-C. en Judée (le judaïsme fondé par Abraham), vers 1350 avant notre ère en Égypte (Akhenaton entreprend une réforme religieuse avec le culte d'un dieu unique, Aton) et à peu près à la même époque en Perse (le zoroastrisme). Comment sont nés les grands courants de pensée et les religions ? Il est presque toujours question en premier lieu d'une expérience spirituelle ou mystique d'êtres d'exception tels que Moïse, Siddhartha Gautama (Bouddha), Lao Tseu, Confucius, Jésus et Mahomet. Les grands systèmes de pensée et les courants religieux ont débuté sur la base d'une expérience spirituelle, de révélation ou de transcendance d'êtres qui ont fécondé les esprits de personnes réceptives en proposant de nouvelles approches. Le rayonnement de ces êtres et la teneur de leur enseignement ont inspiré des disciples et ont également suscité chez certaines personnes le souhait de structurer ces enseignements pour créer des religions avec des règles, des principes, des dogmes et des pratiques religieuses. C'est à la fin du IVe siècle que le christianisme devint la religion officielle de l'Empire romain. Ainsi, le plus souvent dans l'histoire des grandes traditions spirituelles, le vécu et la transmission de connaissances d'un individu ont abouti à un message spirituel apporté à l'humanité. Pour le cheikh Khaled Bentounès, l'humanité reçoit "cet enseignement de la façon la plus simple, la plus directe, comme on boit l'eau très pure d'une source de montagne" (A la recherche de la vie intérieure, 2017). Ce guide spirituel d'une confrérie soufie conçoit qu'avec le temps, les dogmes et les clergés opacifient le message originel mais que dans sa quête le chercheur spirituel peut chercher à remonter à la source. Il exprime sa pensée avec force et espérance : "qui que je sois, je peux étancher cette soif, car la source dont nous parlons ici jaillit à l'intérieur de nous-même. Et cela, tous les humains l'ont en commun. (...) Le jour où les humains comprendront que derrière l'immense diversité des cultures, des traditions, des philosophies, des religions, il y a une origine commune et que celle-ci est enracinée dans le cœur de chacun, alors commencera la véritable paix." Ce sont des propos qui ne sont pas rares car de nombreux acteurs du dialogue inter-religieux insistent sur l'existence d'un socle spirituel commun, un cœur de sagesse partagé par les grandes religions et traditions spirituelles. Quant à Voltaire, philosophe des Lumières prônant le théisme, il avait tranché la question de Dieu en l'embrassant dans un regard universel : "Mes frères, la religion est la voix secrète de Dieu, qui parle à tous les hommes ; elle doit tous les réunir, et non les diviser : donc toute religion qui n'appartient qu'à un peuple est fausse. La nôtre est dans son principe celle de l'univers entier, car nous adorons un Être suprême comme toutes les nations l'adorent, nous pratiquons la justice que toutes les nations enseignent, et nous rejetons tous ces mensonges que les peuples se reprochent les uns aux autres." (Sermon des cinquante). 

                      Revenons à aujourd'hui. Une religion est définie comme un ensemble déterminé de croyances et de dogmes définissant le rapport de l'homme avec le sacré. Si la vie spirituelle d'un croyant passe par le respect des dogmes et des rituels de sa religion, la spiritualité au sens large ne désigne pas l'adhésion à un système de croyances et de rituels religieux. Les voies religieuses sont empruntées par bien des personnes et le propos n'est pas d'y porter un quelconque regard, appréciateur ou critique, chacun étant libre d'adhérer à ce qui lui convient tant que cela se fait dans une attitude respectueuse, pacifiste et bienveillante envers les autres. Si certaines personnes se sentent plus à l'aise avec la religion, qui enseigne des vérités, d'autres préfèrent la spiritualité, qui n'a rien d'une vérité toute faite puisqu'elle invite chacun à découvrir qui il est en profondeur. Suivre une religion, être croyant, c'est emprunter un chemin déjà tracé, déjà balisé et en accepter les fondements et les règles. La spiritualité, qui a davantage trait avec l'élan spirituel, se construit à partir de ce qui est ressenti et expérimenté. La voie spirituelle concerne un individu dans sa propre relation avec le domaine du Divin, du sacré, de l'Absolu ou tout simplement d'un principe supérieur. S'il est certes constaté un déclin de l'adhésion aux grands courants religieux, au point que certains articles de presse parlent de crise des institutions religieuses, il ne faut pas pour autant en déduire un désintérêt pour la spiritualité. Dans l'ouvrage Petit traité de vie intérieure, Frédéric Lenoir, écrivain et historien des religions, souligne le fait que la religion a beaucoup moins d'influence sur les consciences en Europe car elle propose le plus souvent du dogme alors que les individus sont en quête de sens : "elle édicte des credo et des règles qui ne parlent plus qu'à une minorité de fidèles et elle ne parvient pas à renouveler son regard, son langage, ses méthodes, pour toucher l'âme de nos contemporains qui continuent pourtant de s'interroger sur l'énigme de leur existence et sur la manière de mener une vie bonne. Pris en tenaille entre une idéologie consumériste déshumanisante et une religion dogmatique étouffante, nous nous tournons vers la philosophie et les grands courants de sagesse de l'humanité." Une persistante quête de sens qui explique l'émergence d'une spiritualité sans appartenance à une institution religieuse, souvent nommée "spiritualité laïque" dans les médias. Elle relève d'une recherche personnelle pour saisir le sens de l'existence et elle s'épanouit lors de prises de conscience. D'après mes lectures, beaucoup de maîtres spirituels considèrent que la spiritualité fait référence à une source divine dont l'essence est présente en chaque âme. C'est pourquoi la spiritualité prône la tolérance et le respect de tous les individus. Pour Frédéric Lenoir, l'Évangile selon saint Jean révèle un pas important franchi par Jésus au regard de l'histoire des religions, lors de l'épisode de sa rencontre avec la Samaritaine. Celle-ci l'interroge sur le lieu où adorer Dieu, Jérusalem ou la montagne de Samarie, et, de façon ultime, s'interroge sur le vrai culte. Jésus lui ayant répondu que l'heure viendrait où ce n'est ni sur la montagne, ni à Jérusalem, que le Père sera adoré, et que "les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité", l'auteur de l'essai Le Christ philosophe estime que cet enseignement novateur signifie que l'esprit humain est le seul espace sacré où adorer Dieu, et que le Christ opère "une désacralisation du monde au profit de l'intériorité de la vie spirituelle", le cœur de l'homme devenant alors le véritable lieu de la rencontre avec le divin. Considérant que ces deux lieux de culte sont aussi représentatifs de deux religions, l'historien des religions poursuit son interprétation : "Ce que Jean fait dire à Jésus, c'est que dorénavant aucune religion devant Dieu n'est supérieure à une autre ; qu'il n'est pas essentiel d'être samaritain ou juif (on pourrait aujourd'hui ajouter chrétien, hindou, bouddhiste ou musulman) puisque, au-delà de la diversité des cultures religieuses, ce qui compte c'est la vérité de la relation intime à Dieu.(...) Il entend aider l'homme à dépasser la religion extérieure, nécessairement plurielle et concurrentielle, pour l'introduire dans la spiritualité intérieure, radicalement singulière et universelle." Les paroles du Christ revivifiées sous la plume de Frédéric Lenoir ? À chacun de s'interroger sur le sens et la signification de celles-ci. Pour autant, une proposition d'éclairage qui mérite notre attention.

                     La célèbre formule "Le XXIe siècle sera spirituel [ou religieux] ou ne sera pas", si souvent détournée, fut attribuée à tort à André Malraux. Dans une interview donnée en décembre 1975 au journal Le Point, l'intéressé déclara : "On m'a fait dire que le XXIe siècle sera religieux. Je n'ai jamais dit cela, bien entendu, car je n'en sais rien. Ce que je dis est plus incertain. Je n'exclus pas la possibilité d'un évènement spirituel à l'échelle planétaire." Si cette fameuse citation n'a donc jamais été prononcée telle quelle par André Malraux, homme politique et grand écrivain français, les propos qui suivent sont bien les siens puisqu'ils furent publiés avec son accord dans le journal suédois Dagens Nyheter en janvier 1955, puis repris dans un article du journal l'Express le 21 mai 1955 : "Je pense que la tâche du prochain siècle, en face de la plus terrible menace qu'ait connue l'humanité, va être d'y réintégrer les dieux." Des paroles qui interpellent, et que je ne tenterai pas d'interpréter, n'ayant pas lu tous les ouvrages de cet auteur. Toutefois, elles m'amènent à me demander si André Malraux en appelait de ses vœux à un élan spirituel lorsqu'il les formula. Réintégrer le sacré ou une forme de transcendance, certes, mais quelle forme pourrait prendre cette spiritualité de nos jours ? Nous sommes sans aucun doute nombreux à souhaiter qu'elle soit la plus éloignée possible des extrémismes religieux et des courants sectaires, d'une forme identitaire et fondamentaliste ; la plus proche qui soit d'une vision de la vie porteuse de sens, impulsée par une aspiration à un monde plus juste et fraternel. Et, si des éléments de réponse préfigurent dans les propos de Frédéric Lenoir, notre civilisation est-elle à la veille ou à l'aube d'une "spiritualité intérieure singulière et universelle" ?

par Hélioa, 2017

Quelques pistes de lecture : Arnaud Desjardins, Matthieu Ricard, Frédéric Lenoir, Christiane Singer, Saint Augustin, Paramahansa Yogananda, Simone Weil, Thich Nhât Hanh, Pierre Teilhard de Chardin, Jiddu Krishnamurti, Mâ Ananda Moyî, Maître Eckhart, Ramana Maharshi ; ainsi qu'un ouvrage collectif sous la direction de Frédéric Lenoir et d'Ysé Tardan-Masquelier : Le Livre des sagesses, l'aventure spirituelle de l'humanité (éditions Bayard, 2014, tome 1 : Sages, mystiques et maîtres spirituels ; tome 2 : Trésors de sagesse).

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"Le corps humain pourrait bien n'être qu'une apparence. Il cache notre réalité. Il s'épaissit sur notre lumière ou sur notre ombre. La réalité c'est l'âme. A parler absolument, notre visage est un masque. Le vrai homme, c'est ce qui est sous l'homme."  
                 Victor Hugo  (Les travailleurs de la mer)

"L' âme de l'homme a reçu des ailes et enfin elle commence à voler. Elle vole vers l'arc-en-ciel, vers la lumière de l'espoir."                                                      Charlie Chaplin  (dernières paroles du film Le Dictateur)

 L'éveil spirituel  

                                 

                     L'éveil est une notion qui requiert une présentation détaillée puisque c'est le même terme qui est utilisé pour décrire des expériences différentes et l'article présent entend exposer les principales descriptions qui en sont faites. Qu'il soit décrit comme une expérience rare survenue tout à coup, ou bien alors défini comme une évolution progressive de la conscience, il présente avant tout un caractère universel et intemporel. De siècle en siècle, l'éveil se vit sur tous les continents, quels que soient les individus, les cultures, les traditions religieuses et spirituelles. Ainsi, qu'il se produise sous la forme d'un processus évolutif ou bien à l'occasion d'un basculement soudain d'un état de conscience à un autre, l'éveil est la reconnaissance de notre véritable nature. Il représente la fin de l'illusion d'être un individu séparé du monde. Il nous ouvre à une dimension de nous-même que nous avions oubliée, car, paradoxalement, s'il est accessible, il est aussi déjà là. C'est ce qu'exprima, Râmana Mahârshi, grande figure de la spiritualité indienne du XXè siècle : "Il n'y a pas de plus grand mystère que celui-ci : nous cherchons à atteindre la Réalité alors que nous sommes la Réalité. Nous pensons que quelque chose nous cache notre Réalité et qu'il faut le détruire avant d'obtenir cette même Réalité. C'est ridicule. Un jour viendra où vous rirez vous-même de tous vos efforts passés. Et ce qui sera, le jour où vous rirez est déjà ici et maintenant. En ce moment même vous êtes le Soi." L'enseignement de Ramana Maharshi, Albin Michel, 2005

                          L'éveil, notion souvent rattachée à la spiritualité, parfois à la philosophie, d'autres fois placée hors de tout cadre, renvoie à l'idée de la vision juste du réel. Déjà en leur temps Bouddha, Socrate ou encore Platon, invitaient à la connaissance de soi. Des auteurs et penseurs modernes, tel Jiddu Krishnamurti, ont grandement contribué à répandre cette notion en Occident, nous invitant à découvrir notre identité véritable au-delà de l'identification à l'image corporelle et mentale que nous avons de nous-même. Tous les aspects de la réalité sont importants: le visible et l'invisible, le manifesté et le non-manisfesté, la forme et le sans forme. Si un individu est totalement identifié à son identité physique et à ses perceptions dans le monde de la matière, il délaisse son espace intérieur, sa dimension métaphysique, une part de lui qui est primordiale et essentielle. Avancer sur le chemin de la conscience, c'est saisir ce que l'être humain est réellement dans son apparence et dans son essence. Physique et intériorité, il n'y a rien à rejeter, tout à unifier : "Équilibrer le matériel et le spirituel : à mesure que notre conscience du but grandit, nos attachements pour les plaisirs matériels tombent naturellement. L’important n’est pas tant d’abandonner les plaisirs que d’avoir l’attitude juste envers eux. L’harmonie ne peut régner dans la société qu’à condition que les deux aspects de la vie, le matériel et le spirituel, soient en équilibre, comme les deux ailes d’un oiseau." Amma 

                       Avant d'aborder les différentes formes de l'éveil (progressif, initiatique ou soudain), son caractère "universel-intemporel" va nous entraîner dans un voyage dans le temps et dans l'espace (changement de continent) à l'occasion duquel sera présentée l'importance de cette notion au sein de trois des grandes traditions spirituelles (hindouisme, bouddhisme, christianisme). Le lecteur pourra poursuivre son voyage et son étude de son côté vers d'autres horizons religieux ou spirituels. En outre, d'autres textes présents sur le site abordent la notion de l'éveil sous le prisme de la philosophie. 


Aux sources de l'éveil 

                     Bien que l'éveil, potentiel de l'esprit humain, présente un caractère universel, nos contemporains en Occident associent bien souvent cette notion aux traditions religieuses et spirituelles d'Orient, notamment l'hindouisme et le bouddhisme où les termes utilisés pour le définir sont "illumination", "réalisation de soi" ou encore "libération". L'éveil y revêt deux aspects : c'est le terme utilisé pour décrire "la réalisation" soudaine, et il correspond aussi au processus graduel d'évolution spirituelle et à l'aboutissement d'une voie. Dans les deux cas, il concerne toujours la prise de conscience de notre vraie nature.  

1. L'éveil et l'hindouisme

                         Dans la spiritualité hindoue, l'éveil est une notion de tout premier plan qui réunit plusieurs principes fondamentaux. Il correspond à la dissolution du moi et à la perspective du but ultime, la délivrance, qui est la libération (en sanskrit moksha ou nirvâna) qui marque la sortie du samsara, le cycle des réincarnations (ou transmigration des âmes). Les textes anciens de l'hindouisme enseignent que l' âme individuelle, la conscience individuelle, est identique à la conscience universelle : l'âtman est brahman. Dans les Upanishad, textes sacrés à la base de l'hindouisme, le brahman est le principe universel, l'Absolu. Il est l'Univers, l'essence et la source de toute chose et de tout être. Les Upanishad le présentent également comme connaissance, conscience, béatitude ou félicité absolue. L'âtman est un principe individuel mais, pour bien saisir cette notion, il est au delà de l'idée de personne, d'individu et d'ego, il correspond à la notion d'âme. Aussi appelé "le Soi", ce principe est intérieur et universel, présent en chacun. Le cœur de l'enseignement des Upanishad réside dans l'identité entre l'âtman et le brahman. Tout être vivant qui voit et vit sa propre essence, réalise l'unité entre âtman et brahman. Cette libération permet à l'individu de s'éveiller à son vrai Soi qui n'est autre que l'Absolu. Dans l'hindouisme, atteindre l'éveil c'est donc réaliser l'union avec la totalité, l'Univers, le divin. Il s'agit de ne plus s'identifier à la personnalité et lorsque celle-ci s'efface, ce qui était déjà présent se révèle, à savoir notre véritable nature : "Tat tvam asi" , "Tu es Cela", ton être véritable est l'Absolu (paroles de la Chāndogya Upanishad, environ VIe siècle avant notre ère). Il y a identité entre l'être humain, son âme - la dimension du microcosme - et l'Univers, le macrocosme. Cette expérience très intense est souvent présentée comme une "seconde naissance". Le "délivré" perd sa conscience distincte d'être coupé des autres, il se fond dans l'Absolu et il en advient qu'il atteint la félicité suprême.  (Les Upanishad font partie des textes védiques. Les Veda sont les plus anciens textes sacrés de l'Inde, ils forment le corpus de la shruti, "audition" : selon la tradition, ils se présentent comme la révélation de la parole éternelle émise par l'Absolu, donnée aux rishi, les voyants.)

2. L'éveil et le bouddhisme

                        La notion d'éveil spirituel est aussi communément associée au bouddhisme. Précisons qu'il existe deux significations pour le mot "bouddha". Être un Bouddha est une appellation honorifique qui signifie "l'Éveillé", "Celui qui a compris" ou encore " Celui qui a vaincu ", un titre qui concerne tous ceux qui au cours des siècles ont réalisé l'éveil, c'est à dire ont accédé à la compréhension de la Loi de l'univers, découverte qui apporte la délivrance du cycle des renaissances successives soumises à la souffrance, à l'attachement et à l'ignorance. La deuxième attribution de ce mot s'applique au Bouddha historique, Siddhārtha Gautama, dit Shâkyamuni (du clan des shakyas) qui vécut entre le VI ième et le V siècle avant notre ère. Il fut le fondateur d'une communauté de moines qui donna naissance au bouddhisme. Il existe plusieurs courants bouddhistes mais tous le considèrent comme le Bouddha qui a mis en branle la roue de la Loi afin de propager l'enseignement bouddhiste dans le monde. La tradition relate que le prince Siddhārtha Gautama, né au Népal, quitta son palais et sa vie oisive à l'age de 29 ans pour partir à la recherche du salut. Après de longues années d'errance et d'exercices ascétiques qui le mènent aux portes de la mort, il s'assit en posture de lotus sous un figuier à Bodhgaya en Inde et se plongea dans une méditation décisive où Mâra, le dieu qui préside au cycle des morts et des renaissances, inquiet de cette menace, tenta de le faire sortir de son état méditatif. En vain car au terme de cette nuit de méditation, Mâra fut vaincu. Âgé de 35 ans, celui qui fut le prince Siddhārtha puis l'ascète Shâkyamuni, vécut l'expérience qui fit de lui un Bouddha, un être parfaitement éveillé. Il acquit la connaissance des lois de l'univers, dont la loi du karma (qui rétribue chacun selon ses actes), il se remémora ses existences précédentes et se retrouva délivré des mécanismes qui plongent les êtres vivants dans le cycle interminable des existences. Selon les textes, au terme de 547 vies, il obtint l'illumination, il parvint à l'Éveil. Shâkyamuni avait atteint l'Éveil suprême (en sanskrit, bodhi). Voici pour les événements historiques de celui qui est considéré comme la grande figure de "l'Éveillé". De nos jours, qu'est-ce que le bouddhisme entend par "éveil" ? Dans son ouvrage Plaidoyer pour le bonheur (Nil éditions Pocket évolution, 2003), le moine bouddhiste Matthieu Ricard nous explique cette notion: "Le bouddhisme appelle Éveil un état de liberté ultime qui va de pair avec une connaissance parfaite de la nature de l'esprit et de celle du monde des phénomènes. Le voyageur s'est éveillé du sommeil léthargique de l'ignorance et les déformations du psychisme ont laissé place à une vision juste de la réalité. Le clivage entre un sujet et un objet dotés d'existence propre s'est évanoui dans le compréhension de l'interdépendance des phénomènes. Par conséquent, il s'agit d'un état de non-dualité, au-delà des fabrications de l'intellect, invulnérable aux pensées perturbatrices. Le sage a pris conscience que le moi individuel et les apparences du monde phénoménal n'ont aucune réalité intrinsèque.(...) Bien que cet état puisse paraître très éloigné de nos préoccupations ordinaires, il n'est assurément pas hors d'atteinte. (...) L'Éveil est effectivement proche en ce sens que nous avons tous en nous le potentiel que constitue notre véritable nature." Ainsi, le bouddhisme est une spiritualité qui place l'éveil au cœur de son enseignement. 

3. L'éveil et le christianisme

                     La notion d'éveil est-elle abordée dans le christianisme ? Indirectement, oui, discrètement présente dans les textes anciens et de façon plus détaillée à travers certains témoignages de théologiens ou de mystiques. Rappelons tout d'abord que la spiritualité chrétienne se déploie au sein de plusieurs traditions qui se sont développées tout au long de l'histoire de l'église : la tradition catholique, la tradition orthodoxe et la tradition protestante. Malgré des différences majeures liées à certaines croyances, la spiritualité chrétienne au sein de ces trois traditions s'articule autour de plusieurs aspects : la relation de l'être humain avec Dieu ; la pratique de la prière et la lecture de textes sacrés ; des règles morales ainsi que des valeurs dont certaines sont liées à Jésus-Christ et à son enseignement. Deux notions ont une place importante dans la spiritualité chrétienne : le salut de l'âme après la mort et le Royaume de Dieu. La notion de Royaume de Dieu peut être appréhendée de deux façons : d'une part, comme une réalité transcendante, d'autre part, comme l'existence d'un royaume de notre vivant, pour lequel il s'agirait alors d'une réalité en soi-même, accessible lors d'une transformation intérieure spirituelle. Très présent dans ses discours, ce royaume est décrit par Jésus-Christ comme intérieur et extérieur à l'être humain, comme déjà présent et à venir :

"Les pharisiens lui ayant demandé quand viendrait le royaume de Dieu, Jésus leur répondit : Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à frapper les regards, et l'on ne dira pas : Il est ici ! ou bien : Il est là ! Car voici que le royaume de Dieu est au dedans de vous !" Luc, 17. 20 .21 ; version de la Bible synodale, Nouveau Testament et Psaumes, 1921 

"Jésus disait : Si ceux qui vous guident affirment : voici, le Royaume est dans le Ciel, alors les oiseaux en sont plus près que vous ; s’ils vous disent : voici, il est dans la mer, alors les poissons le connaissent déjà... Le Royaume : il est à l'intérieur de vous, et il est à l'extérieur de vous. Quand vous vous connaîtrez vous-même, alors vous serez connus et vous connaîtrez que vous êtes les fils du Père, le Vivant ; mais si vous ne vous connaissez pas vous-même, vous êtes dans le vain, et vous êtes vanité." Logion 3, L'évangile de Thomas, traduit par Jean-Yves Leloup, Albin Michel, 1986  

"Il disait : Le temps est accompli, et le royaume de Dieu est proche. Repentez-vous et croyez à l'Évangile." Marc, 1. 15 ; version de la Bible synodale, Nouveau Testament et Psaumes, 1921 

"Dieu est proche de nous, mais nous sommes très loin de lui ; Dieu est à l’intérieur, mais nous sommes à l’extérieur ; Dieu est à la maison, mais nous sommes étrangers." Paroles de Maître Eckhart, Sermons 68. Trad. Jeanne Ancelet-Hustache, Seuil, 1978  

                   Citer Maître Eckhart nous amène à aborder la mystique chrétienne, terme qui désigne l'expérience d'union avec Dieu. Précisons toutefois que l'expérience mystique présente un caractère assurément universel : vécue de l'Occident à l'Orient à travers les siècles, peu importe la chapelle, elle se joue du temps et des frontières, communication directe et personnelle d'un être humain avec le divin, c'est l'union de l'esprit humain à l'Absolu. Certains saints et grands mystiques ont marqué l'histoire des religions et frappé les esprits, très certainement pour frapper à la porte de nos consciences. Qui sont-ils celles et ceux qui ont vécu des expériences intenses d'union à Dieu et qui, par leur message spirituel, ont revivifié le christianisme ? Pour en citer quelques uns, ce sont Saint Augustin, Saint Antoine de Padoue, Saint François d'Assise, Jean de la Croix, Sainte Rita, Sainte Catherine de Sienne, Sainte Thérèse d'Avila, Maître Eckhart, Sainte Thérèse de Lisieux, Saint Philippe Néri ou encore Hildegarde de Bingen et Yvonne-Aimée de Malestroit. Ils ont expérimenté le jaillissement de Dieu dans leur vie et parfois même au sein de leur corps : au-delà d'une dualité corps-esprit, le souffle divin s'infiltrait dans leur chair et dans leur âme. Pour certains, ils défiaient les lois établies par la science, à l'instar du Padre Pio échappant aux limitations habituelles de l'espace-temps (comment le formuler?) à l'occasion de ses bilocations. Certains d'entre eux ont décrit leurs expériences dans de magnifiques témoignages. Au delà d'un vocabulaire souvent religieux mais aussi parfois poétique, il y est toujours question d'une expérience intense avec plus grand que soi : "Que j'ai commencé tard à vous aimer, ô beauté si ancienne et si nouvelle ! que j'ai commencé tard à vous aimer ! Vous étiez au-dedans de moi ; mais hélas ! j'étais moi-même au-dehors de moi-même. C'était en ce dehors que je vous cherchais. Je courais avec ardeur après ces beautés périssables qui ne sont que les ouvrages et les ombres de la vôtre, cependant que je faisais périr misérablement toute le beauté de mon âme (...) . Vous étiez avec moi, mais je n'étais pas avec vous. Car ses beautés qui ne seraient point du tout si elles n'étaient en vous, m'éloignaient de vous. Vous m'avez appelé : vous avez crié, et vous avez ouvert les oreilles de mon cœur en rompant et en brisant tout ce qui me rendait sourd à votre voix. Vous avez frappé mon âme de vos éclairs : vous avez lancé vos rayons sur elle, et vous avez chassé toutes les ténèbres qui la rendaient aveugle au milieu de votre lumière même. Vous m'avez fait sentir l'odeur incomparable de vos parfums, et j'ai commencé à ne respirer que vous, et à soupirer après vous ; j'ai goûté la douceur de votre grâce, et me suis trouvé dans une faim et dans une soif de ces délices célestes. Vous m'avez touché, et je suis devenu tout brûlant d'ardeur pour la jouissance de votre éternelle félicité."  Confessions, Saint Augustin. Les paroles d'Augustin d'Hippone, l'un des quatre Pères de l'Église occidentale, tout comme celles prononcées par le Christ, attirent notre attention sur une possible expérience d'éveil avec plus grand que soi, de notre vivant. 

 

Plusieurs formes d'éveil 

1. L'éveil progressif, graduel

                     S'éveiller, c'est ouvrir sa conscience au quotidien. L'éveil progressif est celui qui est le plus couramment vécu par les personnes engagées sur un chemin spirituel. Si le côté intense ou impressionnant d'un éveil soudain est absent, il ne faut pas pour autant le dévaloriser par rapport à celui-ci. Il est ici question du processus graduel d'éveil car il semble important de mettre l'accent sur ce que chacun de nous a la possibilité de vivre : un éveil de la conscience. Au travers de compréhensions successives, s'opère une transformation de la perception de soi-même, de ce qui nous entoure, de la vie tout entière. S'éveiller amène progressivement à être plus conscient, c'est-à-dire à saisir la réalité autrement. De nos jours, la notion d'éveil revêt plusieurs sens. Deux principaux sont ici distingués. Dans une première signification, l'éveil désigne une ouverture d'esprit et l'émergence d'un nouveau regard sur le monde. Il peut être issu de rencontres, de réflexions philosophiques, de questions existentielles et d'interrogations métaphysiques. Des lectures spirituelles ou des conférences peuvent susciter votre intérêt pour la dimension spirituelle, comme un déclic intérieur qui fait résonner quelque chose en vous et qui amorce un changement. C'est un processus graduel de transformation intérieure qui opère à petites doses dans le déroulement d'une vie. Il s'agit d'un changement d'état de conscience au fur et à mesure de nos expériences, ce qui nous amène à une compréhension plus profonde de nous-même et des phénomènes. Dans une autre signification, qui pourrait sembler à prime abord similaire à ce qui vient d'être évoqué, l'éveil est toujours une ouverture de conscience mais celle-ci est plus soutenue. L'âme est prête à franchir un seuil et c'est alors un processus initiatique qui s'enclenche. Certains le disent distillé par la vie avec l'idée que l'individu est parti prenante de l'action de la vie. Pour d'autres, le relatif et l'absolu sont "une et même chose" - la réalité est Une - c'est donc un processus de rappel à soi à travers des expériences de vie fortes, profondément transformatrices et révélatrices, avec des prises de conscience à très haut sens. C'est donc une transformation plus profonde et plus significative. C'est un mécanisme intérieur plus soutenu qui se met en place, comme un appel ou un rappel à Soi. 
 

2. L'éveil soudain, spontané 

                     C'est une expérience rare qui survient de façon soudaine et bien souvent en dehors de toute préparation. Cependant, elle surgit aussi parfois à l'occasion de la prière, d'un recueillement ou d'une pratique méditative, et de ce fait elle est vécue comme un processus plus ou moins inattendu. Qu'est-ce donc qui est vécu ? Les témoignages faits autour de ce type d'expérience relatent un basculement de la conscience, tous les repères des pensées habituelles sont bouleversés, ce qui fait que ces moments sont décrits comme extraordinaires et sont bien souvent vécus comme un chamboulement. Les personnes décrivent une expérience où elles perdent le sentiment d'avoir une identité individuelle et d'être séparée du Tout. Elles accèdent à une nouvelle manière d'être qui transcende les limitations habituelles. Les personnes présentent aussi leur éveil comme le retournement de la conscience vers sa dimension originelle et pure, vers sa propre essence. L'état d'expérimentateur disparaît, plus personne n'expérimente, il y a juste la Présence, un ressenti de plénitude. Seule est présente la conscience en tant que témoin neutre. L'éveil est parfois décrit comme le basculement de la conscience du temporel à la présence infinie. Les personnes transmettent leur ressenti comme l'expérimentation de l'unité de la réalité et de l'unicité de la Vie. Dans l'ouvrage Spiritualité, de quoi s'agit-il ? (éd. La Table Ronde 2009; éd. Pocket 2013) Arnaud Desjardins tente d'expliquer de quoi il s'agit avec le plus de précision possible compte tenu de la difficulté à trouver un vocabulaire qui soit approprié : "Les témoignages sont toujours les mêmes : "perfection"...'joie"..." le temps s'est arrêté complètement"... mais tous les mots sont insuffisants, parce qu'ils peuvent tous évoquer des expériences connues. Si on dit "béatitude", les gens entendent : " Ah oui, j'ai été dans la béatitude ce jour-là, tout était si parfait." Ce dont je parle est au-delà de toutes les expériences habituelles. C'est pourquoi nous rencontrons souvent le qualificatif d' "indicible" qui n'en dit pas beaucoup plus pour le lecteur. Pendant un temps, l'ego, le moi limité et séparé, s'efface. La limitation "ici je m'arrête là et là c'est l'autre qui commence" disparaît complètement. Si bien qu'on est intensément là mais qu'en même temps, "je" n'est plus là. Puis cette expérience s'arrête et, plus ou moins rapidement, on en revient à son état habituel. En temps normal, celui-ci nous semble très vivable mais, par rapport à un moment d'état de grâce aussi intense, il paraît horriblement pénible. [...] La grande question, c'est de savoir si un sage comme Ramana Maharshi est établi en permanence à ce niveau exceptionnel. Dans ce cas, ce n'est plus l'exception mais la règle. Pour moi, la réponse est oui. C'était évident auprès de Mâ Anandamayi, de Swâmi Prajnânpad, que j'ai vu chaque soir demeurer deux heures immobile comme une statue. Ce qui émanait alors de lui s'imposait comme la preuve d'un autre niveau d'être possible." Effectivement, il importe aussi de faire la distinction entre une expérience passagère - quand bien même celle-ci est forte et transformatrice - et la Réalisation définitive. Nous l'avons vu, lors de certaines expériences, l'individu bascule dans un état de conscience qui lui était jusque là inconnu, il décrit qu'à ce moment là toute limitation personnelle et individuelle a disparu, et ces expériences puissamment stimulantes débouchent sur des prises de conscience qui font grandement avancer les personnes sur leur cheminement spirituel. Le plus souvent, elles vont connaître par la suite un processus d'intégration et d'évolution progressive dans leur vie. Donc, ces expériences soudaines et passagères sont à distinguer de ce qui est communément appelé la "Réalisation" définitive par les grands sages. Dans ce cas spécifique et disons-le extrêmement rare de la Réalisation ultime, le sentiment d'individualité a complètement et définitivement disparu (à ce sujet, lire : L'Enseignement de Mâ Ananda Moyî, traduit par Josette Herbert, éd. Albin Michel 1980, format poche 2004). 

3. Mais aussi... 

                     Il arrive aussi que des personnes vivent des ouvertures de conscience soudaines à l'occasion de situations spécifiques. Nombreux sont les hommes et les femmes pour lesquels une ouverture de conscience, une nouvelle vision de la vie, est apparue à la suite d'un accident ou d'une maladie. Grâce aux progrès de la médecine, de plus en plus de personnes qui ont "frôlé la mort", comme on le dit, sont réanimées et témoignent avoir vécu une expérience désormais communément appelée NDE (en anglais, near death experience) ou EMI (expérience de mort imminente). Cependant, il y a quelques années, la plupart des personnes qui en entendaient parler ou qui lisaient des témoignages n'y accordaient aucun crédit car ils étaient jugés trop spectaculaires ou hallucinatoires. Cela commence à changer, les témoignages sont de plus en plus nombreux, ils se recoupent, et des études médicales très sérieuses sont menées depuis quelques décennies. De plus en plus de personnes s'intéressent à ces sujets qui se rapportent au thème de la conscience. De même, au sein de la communauté scientifique, la conscience devient "LE" phénomène à explorer et les scientifiques en neurosciences s'y penchent très sérieusement depuis déjà plusieurs années. 

                    En outre, il n'y a pas que les accidents ou les maladies qui débouchent sur des expériences puissantes. Celles-ci peuvent aussi survenir sans qu'on s'y attende dans le quotidien de la vie, comme par exemple lors d'une intense contemplation de la nature. Quand bien même la très belle citation qui suit est extraite d'un roman de Joseph Kessel (Le lion, 1958), elle décrit à merveille ce que certaines personnes ont expérimenté et je souhaite vous la partager :  "Il y avait eu auparavant une minute, ou une seconde, ou même une fraction de seconde - que sais-je et qu'importe - durant laquelle j'avais cessé d'exister dans les misérables limites humaines et perdu, confondu dans l'univers sans fin, j'étais devenu cet univers et cet univers était moi-même".         

                       Pour conclure, l'éveil se révèle être un chemin de transformation intérieure et extérieure : les prises de consciences modifient la vision de la vie et aussi la façon d'être. Disons-le, la notion de l'éveil peut tout à fait dérouter une personne puisqu'on lui décrit le sentiment d'identité personnelle comme illusoire. Effectivement, on comprend aisément qu'il soit difficile d'entendre et qui plus est d'adhérer à l'idée que nous sommes plongés dans un état de rêve, d'illusion, de confusion, de perception erronée, selon les propos formulés par différents enseignants. S'éveiller du rêve de l'individualité n'est pas toujours chose aisée. Enfin, et quand bien même la vie monastique est un choix honorable et respectable, il est préférable de préciser que pour celui qui s'engage sur le chemin de l'éveil, il ne s'agit pas de quitter toute activité sociale ou de se mettre à vivre en ermite. Sur tous les continents et à diverses époques, des enseignants spirituels nous ont parlé de notre vraie nature : elle est Essence et pure conscience. Leur invitation pourrait se résumer à porter notre regard au-delà de ce que nous croyons être - un corps, un mental, des émotions, une personnalité - pour découvrir notre véritable identité. Au fil des siècles, de façon collective, nous avons façonné une image de nous-mêmes à travers de fausses identifications et des croyances illusoires. Il apparaît très clairement que le processus d'éveil est celui d'une transformation intérieure qui est appelée à rejaillir sur toute notre vie. C'est une expérience individuelle et, par extension, il semble juste de dire que c'est également un processus collectif, dans le sens où il se produit une évolution de la conscience humaine à l'échelle planétaire depuis la nuit des temps. L'humanité moderne a tourné son attention vers des désirs exprimés dans de multiples directions. Lorsqu'elle tournera aussi son désir vers la sagesse, le bien commun, la beauté et la richesse intérieures - en accord avec un épanouissement extérieur équilibré - alors tout changera : "La grande erreur de notre temps a été de pencher, je dis même de courber l'esprit des hommes vers la recherche du bien matériel (...). Il faut relever l'esprit de l'homme, le tourner vers Dieu, vers la conscience, vers le beau, vers le juste et le vrai, vers le désintéressé et le grand. C'est là et seulement là, que vous trouverez la paix de l'homme avec lui-même, et par conséquent avec la société." Discours de Victor Hugo le 11 novembre 1848 à l'Assemblée nationale. Nous vivons une période où la conscience collective de l'humanité évolue grandement et cela se manifeste par une quête de sens qui prend de l'ampleur. Une recherche de sens qui s'intensifie mène un individu sur le chemin de l'éveil. La quête de sens présente donc un véritable enjeu de société mais très certainement aussi, comme nous le rappelle François Cheng, y est-il question d'une nécessité incontournable : "Pour vous comme pour moi, retrouver et repenser l'âme s'avère une tâche nécessaire et urgente." Certains, à l'instar du maître bouddhiste vietnamien Thich Nhat Hanh, n'hésitent pas à dire qu'un élan spirituel est désormais devenu un impératif de survie : "On ne peut éviter une destruction totale de la race humaine qu'en trouvant une nouvelle direction de culture dans laquelle l'élément spirituel jouera son rôle de guide. Je l'ai déjà dit, ce dont nous avons besoin, ce n'est pas d'une doctrine, mais d'un réveil qui puisse restaurer notre force spirituelle." (Clés pour le zen, 1999)

par Hélioa, 2017, mise à jour 2020

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Exposition 2017

  

Déjeuner en paix... exposition janvier et février 2017, Toulouse, Saveurs bio

 

"La raison d’être ultime de la méditation est de se transformer soi-même pour mieux transformer le monde, ou de devenir un être humain meilleur pour mieux servir les autres. Elle permet de donner à la vie son sens le plus noble." "Étymologiquement, les mots sanskrit et tibétain, traduits en français par "méditation", sont respectivement bhavana, qui signifie "cultiver", et gom, qui signifie "se familiariser". Il s'agit principalement de se familiariser avec une vision claire et juste des choses, et de cultiver des qualités que nous possédons tous en nous mais qui demeurent à l'état latent aussi longtemps que nous ne faisons pas l'effort de les développer."    Matthieu Ricard  (L'art de la méditation, éd. Pocket 2010)

 

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"Dans l'immobilité tranquille de l'esprit, ce qui est la beauté éternelle, hors du temps, se fait jour sans la moindre sollicitation, sans qu'on la cherche et sans le bruit de la récognition." 
Krishnamurti  (Le Journal de Krishnamurti, éditions Buchet & Chastel, 1983)

  "Voilà donc ce qu'est la méditation - elle ne consiste pas à s'asseoir en tailleur, ou à rester en équilibre sur la tête, ou que sais-je encore, mais à ressentir le caractère holistique et l'unité absolue de la vie."  Krishnamurti  (Cette lumière en nous, la vraie méditation, éd. Stock, 2000)
  
"La méditation n'est pas une évasion mais une rencontre sereine         avec la réalité." 
Thich Nhat Hanh  (Le miracle de la pleine conscience, éd. J'ai Lu 2008)
 
"L'essence de la pleine conscience est véritablement universelle. Elle est davantage liée à la nature de l'esprit humain qu'à toute idéologie, croyance ou culture." 
Jon Kabat-Zinn (Se changer, changer le monde, éd.l'Iconoclaste 2013) 

Platon, un éveilleur ?

           

             Platon (424-347 av. J.-C.) est un des philosophes majeurs de la pensée occidentale et de l'Antiquité grecque. Il a laissé une œuvre philosophique considérable, essentiellement sous formes de dialogues où il met en scène Socrate, dont il fut le disciple pendant neuf ans. Dans ses dialogues, par l'intermédiaire de Socrate, Platon refait ce geste intellectuel essentiel : l'exercice d'une pensée autonome, le questionnement sur le sens de la vie (la vie de l'homme et celle de la cité) et le dépassement des préjugés. Dans son œuvre, sa réflexion porte aussi bien sur la politique que sur la morale, l'esthétique ou encore la science. La célèbre doctrine platonicienne des Idées distingue deux réalités, le monde sensible, celui que nous voyons et le monde intelligible, le monde des Idées. Le monde sensible est subordonné aux Essences ou Idées, formes intelligibles, modèles de toutes choses, qui donnent un sens aux phénomènes. Platon distingue deux formes de connaissance : la connaissance discursive qui fait appel à des raisonnements et des arguments, qu'il considère indirecte ; et une connaissance intuitive, qui est une vision intérieure et directe de la vérité. Le monde des choses perçues par nos sens n'est qu'une image d'une réalité véritable. Pour ce philosophe antique, le monde, le cosmos, qu'il conçoit comme un être vivant avec une âme et un corps, est ordonné et animé par une source de vérité éternelle. La vie humaine elle aussi est conçue comme l'union de l'âme et du corps humain. L'œuvre de Platon se présente comme une recherche rigoureuse d'une vérité absolue. Mais comment accéder à une connaissance suprême ? Selon lui, la solution réside dans la capacité de notre âme à se souvenir ce qu'elle sait déjà : avant de venir dans le corps, l'âme résidait parmi les dieux où la connaissance lui était acquise mais l'incarnation dans la matière l'a plongée dans l'oubli. Il en advient que connaître est "re-connaître" et qu'apprendre est en fait se remémorer une connaissance jadis connue. Considérant que notre être véritable est notre âme immortelle, pas le corps, qui lui est temporaire et transitoire, Platon soutient l'idée d'un cycle de réincarnations : "L'âme s'en va chez Hadès sans aucun autre bagage que ce qu'elle a appris et la manière dont elle a vécu".

             L'enseignement spirituel de Platon, quand bien même il ne fait jamais l'objet d'un exposé précis, transparaît dans des dialogues métaphysiques, souvent habilement illustrés avec des allégories et des mythes. Pour expliquer les différents "états d'être" et les degrés de la connaissance, il guide notre esprit avec le "mythe de la caverne". Dans l'allégorie de la Caverne (livre VII de La République), Platon met en scène des hommes enchaînés et immobilisés dans une "demeure souterraine", qui tournent le dos à l'entrée et ne voient que leurs ombres et celles projetées d'objets au loin derrière eux. Ils n'ont jamais vu directement la source de la lumière. Des choses et d'eux-mêmes, ils ne connaissent que les ombres projetées sur les murs de leur caverne par un feu allumé derrière eux. Pourtant, "ils nous ressemblent" constate Glaucon, l'interlocuteur de Socrate. Que l'un d'entre eux soit libéré de ses chaînes et accompagné vers la sortie, il sera d'abord ébloui par une lumière qu'il n'a pas l'habitude de supporter et souffrira de tous les changements. S'il persiste, il s'accoutumera et pourra voir "le monde supérieur". Prenant conscience de sa condition antérieure, ce n'est qu'en se faisant violence qu'il retournera auprès de ses semblables. Mais ceux-ci, incapables d'imaginer ce qui lui est arrivé, le recevront très mal et refuseront de le croire. Cette allégorie expose, en termes imagés, les conditions d'accession de l'homme à la connaissance, ainsi que la difficile transmission de cette connaissance. Il y est question de passer de l'opinion, forgée par les sens et les préjugés, à la connaissance de la réalité intelligible des Idées. C'est une invitation à aller au-delà des données de nos sens et à dépasser les préjugés formés par l'habitude. Mettant en évidence la force du conditionnement et l'emprise des idées reçues, Platon souligne la difficulté des hommes à changer leurs conceptions des choses. L'allégorie de la caverne propose de multiples réflexions. Le dessein de Platon était très certainement celui d'inviter le lecteur à découvrir par lui-même la ou les interprétations possibles en fonction de son parcours,  de là où il se situe dans celui-ci  au moment de l'étude de l'allégorie. Les étapes de ce récit décrivent des états d'être et les degrés de connaissance que Platon leur associe. Le mythe de la caverne est celui d'un itinéraire vers la contemplation de "ce qu'il y a de plus excellent dans la réalité". Avec habileté, Platon savait capter l'attention de ces contemporains pour guider l'esprit et élever l'âme vers de hautes idées. Peut-être était-ce là pour lui le but ultime de la philosophie : 

"Cela ne sera pas, apparemment, un simple tour de palet [allusion au jeu du palet] ; il s'agira d'opérer la conversion de l'âme d'un jour aussi ténébreux que la nuit vers le jour véritable, c'est-à-dire de l'élever jusqu'à l'Être; et c'est ce que nous appellerons la vraie philosophie."  Platon, La République, Livre VII

                Philosophe d'exception en son temps, Platon reste pour le nôtre un écrivain majeur qui invite encore et toujours son lecteur à l'exercice d'une pensée autonome.

par Hélioa, 2019

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  • Le travail autour de cette toile a consisté à faire apparaître deux visages en fonction des variations de la luminosité de la pièce ou de celle du jour : ce sont deux photos du même tableau. Grâce à l'utilisation de nuances de turquoise, en plein jour le vert est plus apparent et la Tara Verte apparaît ; le soir, le bleu domine et le Bouddha de Médecine prend forme. Interagissent au sein de ce tableau, le Yin et le Yang :  le jour (aspect yang) révèle le yin du personnage, alors que la nuit (aspect yin) révèle le yang du personnage. La dimension spirituelle bouddhiste est une chose, la tradition chinoise du Yin et du Yang en est une autre, et nous pouvons aussi regarder ce tableau à l'aune de notre propre existence présente. Chaque être humain, quel que soit son sexe, est nourri de deux énergies complémentaires présentes en lui : son féminin et son masculin. Un autre aspect de ce tableau est la présence de deux fleurs, l'une ouverte, l'autre fermée. Telle la fleur qui s'ouvre et s'élance en présence de lumière, la conscience s'épanouit dans une vision plus juste de sa vraie nature. C'est ce qui, en spiritualité, est communément appelé le processus d'éveil.                                                                                                                                                                                                                                                                     
Thème Éveil, Sérénité

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